Portrait de Jef Aérosol
Portrait de Jef Aérosol

Jef Aérosol

Plasticiens

https://www.artinterview.com/interviews/jef-aerosol/

C’est un maître du pochoir, un musicien et l’une des figures de proue de l’art urbain en France. De ses premiers pochoirs à l’aube des années 80 aux fresques murales spectaculaires, en passant par les expositions, les Art Fairs et les ventes aux enchères, Jef Aérosol, de son vrai nom Jean-François Perroy, a contribué à l’effervescence de ce mouvement artistique majeur. Amoureux des pochettes de disques rock-pop-folk-punk, de contre-culture américaine, de peinture, de Pop Art, de Copy Art, de photo-graphisme… ce natif de Nantes installé à Lille s’est nourri de toute l’imagerie collective de la deuxième moitié du XXe siècle. Rencontre passionnante avec cet artiste polymorphe qui sillonne les grandes villes hexagonales et du monde entier, comme Londres, Rome, Bruxelles, Los Angeles, New-York, Tokyo, pour bomber les murs de ses œuvres, signées de sa flèche rouge, entre autoportraits, stars iconiques et visages d’anonymes.

Qu’est-ce qui vous anime dans cette technique d’impression du pochoir ? Quel en fut le déclic ?

Le pochoir, utilisé à des fins artistiques sur les murs des villes, je n’en avais jamais vu avant d’en concevoir, hormis sur les vêtements de Joe Strummer et des autres membres des Clash. C’était récurrent dans l’imagerie punk à la fin des années 70. J’avais aussi repéré un logo antinucléaire lors d’une manifestation en Bretagne. Mais à l’époque, la technique était employée de manière industrielle et non pas dans la rue. Il n’existait pas d’art urbain comme aujourd’hui, ni de graff ni de tag, seulement des affiches politiques. À Paris, Ernest Pignon-Ernest et Zloty (Gérard Zlotykamien) œuvraient déjà face aux murs et sont devenus des amis au fil du temps.

J’ai démarré avec le traitement du photo-graphisme (montage, collage, traitement Polaroïd, photocopie…) en le poussant dans ses retranchements de contrastes, à l’image de Man Ray, ou en le redessinant, comme les affiches psychédéliques de Rick Griffin dans les années 60. Cette esthétique était dans l’air du temps. Elle est entrée dans l’imagerie punk par la force des choses, à travers la photocopie. Et c’est ce qui m’a séduit. J’aimais reprendre une photo et la styliser au maximum.

En France, il y a eu aussi ces émanations pop grâce à Bernard Rancillac, Gérard Fromanger, Jacques Monory. Il ne s’agit pas de pochoir mais c’était le même principe. Je découvrais ainsi toutes ces formes d’art dans les magazines, la publicité, les pochettes de disques, les affiches de concerts. Depuis Nantes, ma ville natale, Los Angeles et New York étaient bien loin mais cette imagerie m’a fasciné et m’a aiguillonné progressivement vers le pochoir.

Était-ce pour vous le meilleur moyen d’expression ?

Absolument, ce fut le vecteur parfait. Mon musée idéal comprenait essentiellement les pochettes de mes 45 et 33 Tours. Cette approche me préoccupait davantage. Enfant, j’ai toujours pratiqué le dessin, le collage, la peinture, et travaillé les images. J’étais le dessinateur de la famille. Tout ce que je concevais portait ma signature. Mon rêve, dont je n’avais pas encore conscience, était de montrer ce que je créais, signé de mon nom, et de m’ouvrir au public. Au même titre qu’un auteur veut être lu, qu’un musicien veut être entendu.

Passer à l’acte avec cette technique fut aussi synonyme de déménagement. En quittant Nantes pour Tours, j’ai osé faire des choses que je n’aurais pas faites autrement. J’avais déjà commencé à rendre public mes travaux auprès de mes amis, mais l’affiche du groupe Private Jokes, une émanation du groupe Marquis de Sade de Rennes, a été mon premier travail au-delà du cercle amical, car elle a été collée sur les murs de la ville. Cette affiche créée en 1981 fut donc le premier signe de reconnaissance.

Comment s’est manifesté ce passage à l’acte sur les murs ?

Un an plus tard, en 1982. Je me suis exercé à tout ce bidouillage photo-graphiste, ces créations issues de l’imagerie punk et le DIY en désacralisant l’œuvre d’art. Le collectif Bazooka, formé par des élèves de l’École des Beaux-Arts à Paris, le pratiquait. D’autres en Angleterre et aux États-Unis. Les ordinateurs n’existaient pas encore, on utilisait le Letraset, acheté dans des boutiques spécialisées. Il s’agit de feuilles transparentes comprenant des alphabets, des polices de caractère, des symboles, des logos. En appuyant dessus avec du crayon, cela créait des décalcomanies sur le document.

C’était une alternative à l’imprimerie pour des maquettes de revues, de magazines. Le Letraset a beaucoup servi aux graphistes et aux artistes. J’ai usé et abusé de toute cette technique. C’était la mode de la Xérographie, du Copy Art ; le plaisir de détourner des objets du quotidien afin de les transformer en des outils d’art. Comme le Polaroïd dont Warhol a été le chantre. Et comme ces collections de Photomaton. Avec 1 franc pour une série de quatre photos en noir et blanc, je m’amusais avec des autoportraits décalés. Ce fut ainsi la base de mon travail.

Mon premier pochoir à Tours était une Photomaton que j’ai agrandie sur les murs. En arrivant dans cette ville que je ne connaissais pas et où personne ne me connaissait, je me suis affranchi de cette crainte que j’avais à Nantes. Je me suis autorisé ce passage à l’acte dans la rue, sans autorisation. Dès le premier essai, je trouvais magique et fabuleux que cela fonctionne. Et je ne me suis jamais arrêté. J’ai ensuite trouvé les protagonistes qui m’intéressaient au sein d’un bistro rock de Tours : les radio libres, les musiciens, les salles de concerts, les fanzines… Le patron de ce bar m’a proposé de peindre l’espace comme une sorte d’expo. Ce fut ma deuxième reconnaissance.

Comment se décompose votre processus de travail et ce jeu de séparation des blancs et des noirs, de l’ombre et de la lumière, du positif et du négatif ?

Mon processus correspond à une évolution importante au niveau des outils, entre mes débuts et ce dont je dispose aujourd’hui. Ce ne sont pas les mêmes. À l’origine, tout partait d’une photographie. Je la dessinais sur un calque et la reproduisais ensuite sur un carton. Comme j’avais peu d’argent, je prenais des vieilles boîtes à chaussures. Je retraçais les dessins sur des petits formats que je découpais ensuite avec un cutter pour moquette afin de créer un pochoir unique. C’était du simple layer, du monocouche, que je peignais la plupart du temps sur un fond clair.

La seconde étape était de me rendre dans un Copy Service pour obtenir le rendu car les photocopieuses à domicile n’existaient pas. La photocopie faisait perdre toute nuance à la photo, devenant noire et blanche et très contrastée. C’est d’ailleurs toute l’esthétique punk. Je faisais ensuite la photocopie de la photocopie de la photocopie… J’obtenais ce qui pouvait ressembler directement à un pochoir. Puis sont arrivées les photocopieuses avec agrandissement. Je pouvais partir d’une petite Photomaton et l’agrandir directement en format A4 et A3. Cela m’a ouvert des perspectives. Les photocopieurs ont ensuite permis d’utiliser des transparents. J’ai acheté un rétroprojecteur, posé le transparent dessus et agrandi à volonté. J’ai ainsi pu passer à des formats plus grands et concevoir des personnages grandeur nature.

Au milieu des années 80, j’ai commencé à rencontrer d’autres artistes, comme Epsylon Point, Speedy Graphito, Miss Tic… J’ai découvert les travaux de Blek. J’ai eu mes premiers articles, exposé mes premières oeuvres, connu mes premières ventes aux enchères. La phase suivante est arrivée plus tard, dans les années 2000, en utilisant mon ordinateur avec un ancien logiciel, Corel Draw, type Photoshop, qui m’a permis de mieux travailler les images par rapport aux zones intermédiaires, les niveaux de gris. Mes pochoirs sont devenus plus sophistiqués. Puis l’imprimante-scanner est arrivée qui permettait d’abord d’imprimer sur des papiers fins et ensuite sur des papiers de 150 grammes. La découpe s’est faite davantage avec des scalpels ; un travail plus affiné que le cutter pour moquette. Aujourd’hui, il existe les Plotters de découpe, qu’on branche directement sur l’ordinateur, et le laser pour les très grandes fresques. Et voici l’histoire de la fabrication de mes pochoirs à travers l’évolution de la technique (rire).

À quel moment la bombe aérosol, l’organisation de l’espace et les signes graphiques, comme la flèche rouge, votre marque de fabrique, sont entrés dans le processus ?

J’ai commencé à utiliser la bombe au tout début des années 80. On ne la trouvait que dans des boutiques de bricolage. Elle mettait du temps à sécher et servait essentiellement à repeindre des radiateurs, des mobylettes. Les premières boutiques se sont ouvertes beaucoup plus tard, proposant des bombes à des fins artistiques et même pour des graffitis. Mon premier pochoir à la bombe est un autoportrait grimaçant d’après une Photomaton. Au départ, je travaillais en noir et rouge, puis j’ai laissé entrer les couleurs. Je mettais des signes, comme les flèches. Le fait de peindre dans la rue de façon illicite, avec tous ces nouveaux outils, était nouveau. Très rapidement, je trouvais intéressant d’utiliser l’espace autant que possible dans l’urgence d’un acte non autorisé.

L’idée d’accumulation d’un même pochoir est venue tout aussi vite. Cela me permettait un rapport de force, de masse, et de créer une mise en mur, comme une mise en page. Je pouvais le répéter plusieurs fois en diagonale, en le complétant avec des images figuratives par du texte. Je puisais dans mes références pop-rock, politiques, et l’esthétique de la typographie, qui existaient sur les pochettes de disques et dans les publicités. Les images qui m’ont influencé vendaient souvent un produit, un disque, un concert, une affiche de cinéma… Le texte était présent, décliné sous des formes et typos différentes. Les lettrages psychédéliques, inspirés de l’Art Nouveau, comme Alfons Mucha, et l’Art Déco, utilisés par Rick Griffin aux États-Unis étaient quasi-illisibles. On les retrouve sur les affiches de Jimi Hendrix, Grateful Dead, Janis Joplin. C’était passionnant pour moi.

J’ai ainsi ajouté des mots à tous ces visages en faisant référence à des titres de chansons, des groupes. De cette manière, je pouvais fermer mon format et compléter l’ensemble avec plusieurs motifs, comme les pointillés, les trames, les étoiles, les flèches, les fleurs… Je les ai introduits à l’époque de la new wave. Au fil du temps, cette composition s’est affinée.

Est-ce pour vous la définition de l’acte de création ?

Oui, c’est à partir de ce moment que je me suis affranchi de la couleur. J’ai aussi compris qu’au lieu de récréer un format sur un mur, il était plus intéressant d’utiliser le mur pour ce qu’il était. J’ai commencé à réfléchir sur le travail d’Ernest Pignon-Ernest pour qui je voue une grande admiration. Toute la force de ce qu’on crée dans la rue ne vient pas de ce qu’on crée mais de la rue. Elle vient de l’interaction entre ce qu’on crée et la rue.

Se transcender par des autoportraits, était-ce finalement la meilleure façon de sortir de l’ombre ?

Ce fut une auto-thérapie contre ma timidité maladive. Je m’intéressais davantage à la poésie, aux rêves. J’étais très fleur bleue. Je n’ai jamais adhéré au mâle alpha, à celui qui joue au foot, ou qui sort des blagues salaces. Dans les personnalités qui me fascinaient, comme Bowie ou Twiggy, il y avait cet aspect sulfureux, cette androgynie. J’ai donc particulièrement aimé cette période des années 60 où les hommes et les femmes avaient la même longueur de cheveux, portaient le même genre de vêtements qu’on appelait unisexe. Dans les années 70, j’enchaînais les festivals, guitare dans le dos, j’avais l’impression d’être au coeur d’un Éden. Nous étions pieds nus, jeans délavés, cheveux longs.

Ces autoportraits m’ont ainsi permis de me rapprocher de mes idoles, de ce monde que j’imaginais comme une utopie adolescente. Ma jeunesse s’est fondée sur le rêve. C’est la raison pour laquelle ces images reproduisent ces personnalités, cette époque. Quand j’ai découvert Bob Dylan, avec sa voix nasillarde que tout le monde détestait, j’ai été sidéré par son allure, sa tignasse. Quand il est devenu plus rock star que folk singer, avec ses lunettes noires et sa veste en cuir, je suis devenu complètement fan, subjugué. J’ai voulu être lui, comme j’ai voulu être John Lennon, Andy Warhol, Jack Kerouac. C’est-à-dire cette envie de s’accaparer ce qui nous permet d’échapper au monde réel.

Justement, vos idoles (Hendrix, Joni Mitchell, Frida Kahlo, Gandhi, Mandela, Lennon, Basquiat, Dylan…) côtoient vos anonymes devenus pour certains des icônes, comme le Sitting Kid. Comment est né ce pochoir que vous avez en outre collé sur la Grande Muraille de Chine ?

Un peu par hasard, dans les années 2000. En règle générale, je passe du temps à feuilleter des magazines, à me balader sur Internet, pour trouver des images qui m’interpellent. Ce fut le cas avec le Sitting Kid. Je l’ai modifié pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Cette image est très simple : une silhouette noire et un pochoir blanc. Le public s’est rapidement identifié à cet enfant. J’ai réalisé plus tard qu’il renvoyait une image intemporelle, universelle, symbolique. C’est devenu une mascotte. Tout comme la flèche. Ce signe est resté au détriment des autres dont je me suis débarrassé. J’ignore pourquoi. Mais quand on me demande ce qu’elle signifie, je m’en tire toujours par une boutade : « La flèche donne du sens dans tous les sens » (rire). Elle me permet aussi de construire. C’est un élément graphique à la fois perturbateur et équilibrant.

Pochoir Chhhuuuttt !!! à Beaubourg – Jef Aérosol

En 2018, vous avez restauré votre autoportrait « Chhhuuuttt !!! », l’une de vos fresques murales les plus iconiques, conçue sept ans auparavant sur 350 m2, Place Stravinsky, près du Centre Pompidou. Comment appréhendez-vous ce type de création et de rénovation ?

C’était ma première grande fresque, donc un véritable challenge. Ce n’était pas une commande mais j’ai été soutenu et aidé par un industriel privé et collectionneur d’art, qui aimait beaucoup mon travail. Elle s’est dégradée peu à peu. À l’époque, Dominique Bertinotti, maire du 4ème, aimait cette forme d’art et a favorisé quelques actions dont la mienne. Aujourd’hui, la ville de Paris répond davantage à un opportunisme. Pour beaucoup de municipalités, il s’agit de politique, d’image, de buzz, d’effet de mode. Je ne suis pas vraiment content de ce qui a été créé à côté de la fresque, quand bien même il s’agit de Shepard Fairey et d’Invader. Les méthodes n’ont pas été très correctes. La rénovation a été réalisée à mes frais. Le bailleur social, qui appréciait également mon travail et avait été partie prenante de la création, m’a prévenu avant de partir qu’ils comptaient ravaler la façade et avaient prévu de mettre un échafaudage. J’en ai profité et rassemblé mon équipe d’assistants. En 2011, nous avions découpé plusieurs pochoirs dans cette énorme bâche. L’échafaudage s’étendait sur neuf niveaux et sur chacun se trouvait un pochoir de 15 mètres de large sur 3 mètres de haut. C’était impressionnant. Pour la rénovation en 2018, pas de pochoirs ni de bombes, juste des pinceaux, rouleaux et pots de peinture.

Vous pratiquez également le live painting. Que vous procure cette performance ?

C’est une façon d’être en contact direct avec le public. À l’image de la scène musicale ou théâtrale. Cela permet de désacraliser l’acte. Je n’ai pas de secret par rapport à la technique ; le public voit les outils que j’utilise et comment je crée dans un temps imparti. Pour moi, il y a deux types de live painting. Quand je conçois une fresque sur une semaine avec mes assistants et des nacelles, rien n’empêche les gens de nous regarder travailler, sachant que nous ne sommes absolument pas en spectacle. Pour une performance en revanche, je dois capter l’attention du public. Il ne faut donc pas que cela dure trop longtemps. Généralement entre un quart d’heure et une demi-heure. Cet aspect performatif est vraiment très agréable.

L’art urbain a trouvé sa place dans les galeries, les musées, et a décollé sur le marché de l’art grâce au succès commercial de Shepard Fairey et de Banksy. Quel est votre regard sur cette évolution par rapport à votre cheminement personnel ?

Le grand public a encore l’impression que cette reconnaissance muséale et du marché de l’art est venue tardivement alors que tout est arrivé en même temps. Mes expositions et ventes aux enchères ont rapidement suivi dans les années 80. Nous étions mêlés à des artistes de la Jeune Peinture et de la Figuration Narrative. J’ai une cote officielle de peintre dans le bestseller international, Akoun, depuis 1986, date de ma première vente aux enchères, comme Jérôme Mesnager, Speedy, et bien d’autres.

À la fin des années 90, l’avènement en France de cette vague du rap et du hip-hop, des graffitis, des tags et des graffs, qui existait de manière marginale, fut un raz-de-marée. Notre art était déjà considéré comme « branché », mais nous étions moins sur le devant de la scène. Il s’est passé comme un fléchissement. Et c’est ce qui a troublé notre trajectoire pour le grand public car beaucoup nous ont associés à ce phénomène. Le succès commercial de Banksy et Shepard Fairey nous a remis en lumière dans les années 2000. Ils nous ont d’ailleurs cités comme les précurseurs, les pionniers.

Sur un autre point, les portraits que je conçois aujourd’hui sont des pièces d’exposition. Je fais une différence entre l’espace public et les salles des galeries et musées. Ce que je crée pour une exposition est dédié à un format, qu’il s’agisse d’un objet, d’une toile, d’un carton, etc. Tout doit s’intégrer dans ce cadre de manière hors contexte. Un tableau exposé dans une galerie, même si on crée une scénographie, a vocation a être acquis et accroché dans d’autres lieux. Le tableau classique, exposé dans les musées, n’a pas été conçu en fonction de l’endroit où il a été exposé. Cet art n’est pas contextuel et doit raconter quelque chose en lui-même. Ce format, qui est également l’exercice du photographe et du cinéaste, détermine le cadrage et la mise en page.

Dans la rue, il n’existe pas de cadre. Si je fais le tour de l’œuvre, je fais le tour du monde. J’expose certains portraits dans des galeries et des musées. Dès lors, je leur enlève le pouvoir qu’ils ont dans la rue pour leur en donner un autre dans ces lieux d’exposition. Mon Kid, assis dans un coin de rue, n’est pas le même et ne dit pas la même chose quand il se retrouve dans un coin de toile. Je définis ainsi l’art en trois mots : l’intention, l’action, le regard. L’intention, c’est la décision de faire. L’acte, c’est la partie concrète, la « création ». Le regard, c’est celui de l’artiste et le regard de l’autre qui va prendre possession de ce qui lui est offert.

Selon vous, pourquoi l’art est-il si important dans nos vies ?

La part d’enfance, enfouie en nous quand nous devenons adultes, reste présente. Je pense que les gens, quel que soit leur statut social, aiment retrouver dans l’art et la culture ce sentiment, ces émotions. J’utilise souvent cette formule : « Chaque tableau est une fenêtre qu’on laisse entrouverte ». Les gens ouvrent ces fenêtres pour découvrir l’artiste mais surtout pour se voir eux-mêmes. Une approche à la fois consciente et inconsciente. Ce qu’on cherche dans un livre, une musique, un concert, un film, un spectacle de danse, une photographie, une œuvre d’art, c’est retrouver une part de soi-même dont on ne peut pas s’occuper au quotidien. Elle est (in)volontairement enfouie et refait surface le temps de ce moment.

La fonction de l’art se trouve ici principalement. Elle peut émerveiller, sidérer, faire éclater en sanglots, créer une angoisse. Elle transforme à jamais. L’art autorise ce qu’on ne peut pas faire en temps normal, comme ce lâcher prise des émotions. Cela ne choquera personne de voir quelqu’un pleurer à la fin d’un film ou à l’Opéra, alors que pour beaucoup, cela devient impossible, voire impensable, dans la vie quotidienne. La norme sociale est mise entre parenthèses grâce à l’art. C’est une façon de retrouver la vérité de chacun. La vie est impossible à vivre (avec la guerre, l’inégalité hommes/femmes, le racisme…) et chacun essaie de trouver des échappatoires pour pouvoir la supporter. L’art est comme une béquille qui révèle le plus la vérité tapie sous des tonnes de règles, de bienséance, de normes sociales. L’art est une émanation de la vie. L’un ne va pas sans l’autre finalement.

Quels sont vos projets ?

J’ai un solo show à la Galerie Mathgoth à Paris, L’ABC de Jef Aérosol. Cette exposition a été repoussée à cause du Covid-19 et a finalement démarré le 23 janvier 2021. C’est un abécédaire, avec 26 oeuvres inédites, chacune correspondant à une lettre de l’alphabet. Le S représente le Sitting Kid et San Francisco, le H comme Hendrix, le A comme Aretha, le C comme Clash, ou encore le U comme Utopie.

Site officiel

Instagram


Facebook

Exposition L’ABC de Jef Aérosol à la Galerie Mathgoth
34, rue Hélène Brion – 75013 Paris
Du 23 janvier au 20 février 2021
Du mercredi au samedi de 14 à 19 heures
Entrée gratuite
https://www.mathgoth.com/

Enfant, j’ai toujours pratiqué le dessin, le collage, la peinture, et travaillé les images. J’étais le dessinateur de la famille. Tout ce que je concevais portait ma signature.

Jef Aérosol