Portrait de Ludovic Avenel
Portrait de Ludovic Avenel

Ludovic Avenel

Plasticiens

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Ludovic Avenel, ébéniste et designer, allie depuis 2008 design et tradition, créativité et savoir-faire avec virtuosité afin de créer des pièces uniques pour meuble. À la recherche constante du « beau » et de l’innovation, cet ingénieur ne cesse de faire évoluer ses créations. Dépassant l’aspect fonctionnel d’un objet, ces pièces éveillent, surprennent et magnifient les lieux à vivre. Rencontre avec un amoureux de la nature, des matières et des espaces.

Comment pratiquez-vous le métier d’ébéniste – designer ?

Je pratique le métier d’ébéniste de manière assez transversale. De la création, conception à la fabrication, les champs d’activité dans lesquels je travaille sont assez larges. Cela peut être dans le domaine de l’art puisque je dessine et réalise des pièces que je vends directement en galerie. Je réalise aussi du sur-mesure pour tous les autres créatifs qui ont besoin d’une compétence en particulier. Il peut s’agir d’un accompagnement créatif sur la conception ou la fabrication. J’effectue aussi des démarches de partenariats réalisées avec d’autres artisans, artistes, designers ou architectes d’intérieur. Je pratique effectivement l’ébénisterie. Mais parfois, je manipule aussi le verre, le métal ou le cuivre. J’ai finalement l’impression d’être un « faiseur », je pense que c’est le mot le plus approprié. J’aime aller de l’idée jusqu’à la réalisation et accompagner les autres dans cette démarche.

L’innovation est votre principal moteur. Comment pourriez-vous définir l’objet de vos recherches ?

Ma recherche est effectivement d’innover en essayant de relire ce qui s’est fait, de le comprendre et d’utiliser ces nouvelles technologies qui offrent un large panel d’innovations techniques et esthétiques. Un nouvel outil, une nouvelle machine permet inévitablement de créer un nouveau langage intéressant à mettre en œuvre dans le design, pour des matières et certains projets.

Ce désir d’innover vous a également amené à réinterpréter des créations anciennes comme une petite commode de Paul Iribe et Clément Rousseau. Pour quelles raisons ?

J’ai eu la chance d’effectuer un travail de réinterprétation, il y a quelques années, sur une petite commode de Paul Iribe et Clément Rousseau qui me fascinait parce qu’elle était très innovante pour l’époque. Elle était en galuchat. Aujourd’hui, cela peut paraître passé mais il s’agissait d’une vraie innovation. Son processus de création vient du fait que Paul Iribe avait découvert des matières particulières avec lesquelles il était possible de faire des revêtements pour meuble. J’ai eu envie de copier cette pièce car elle était fascinante pour l’époque et posait un vrai défi technique. L’intérêt de cette démarche est qu’en faisant, je me suis demandé comment Paul Iribe aurait réalisé cette pièce s’il avait encore été vivant. Pas d’un point de vue esthétique puisqu’elle était art déco mais s’inspirait déjà d’une époque XVIIIe dans sa forme, mais du point de vue des matières.

L’idée m’est venue qu’aujourd’hui, nous sommes dans une problématique des matières, de recyclage et de pérennité. Suite à cela, j’ai pensé que Paul Iribe aurait peut-être réalisé cette commode avec des matériaux recyclés, en papier, carton, caoutchouc… Finalement, ce que je me suis amusé à montrer est que les deux pièces sont similaires sur le plan formel, mais radicalement différentes par rapport aux matériaux utilisés. La création ne réside pas que dans la forme mais aussi dans la transformation d’une matière ou dans le choix des matériaux.

De quelle manière cette recherche de nouveaux matériaux vous a-t-elle amené à innover un « bois souple » ?

Ce que j’aime aussi dans mon métier est l’innovation que l’on peut avoir à travers les mots. J’aime cette association créative entre des mots qui, parfois, n’ont rien à voir. Faire du bois cousu, souple, tordu, froissé… Ce que je trouve intéressant est qu’une matière puisse prendre l’allure d’une autre. Selon moi, l’intérêt du bois est de pouvoir lui donner une dimension que peut avoir un tissu. Le bois souple peut donc être cousu, zippé, boutonné. Cela m’a passionné car j’ai pu revoir beaucoup de choses sous l’angle de la souplesse. Je pourrais par exemple ouvrir une porte de manière souple, je pourrais faire un dessus de bureau qui s’effeuille permettant d’accéder à un rangement intérieur, ce qui a donné vie au « bureau à effeuiller ». Il y aurait beaucoup d’autres applications possibles avec cette matière qui ouvre un vocabulaire esthétique et permet des innovations techniques dans l’usage.

Que signifie votre démarche appelée le « slow made » ?

Ce que je trouve intéressant dans le « slow made » est qu’il s’agit d’un mouvement inspiré du « slow food » en Italie. Le principe est simplement de prendre le temps nécessaire. Aujourd’hui, dans nos métiers, nous avons un processus de fabrication forcement lié au fait que l’arbre met tant d’années pour pousser, sécher et qu’il faut une certaine durée pour fabriquer un objet. Dans cette accélération des temps et parfois dans ce raccourcissement des temps – cela m’arrive souvent d’avoir des commandes qui étaient pour hier ou pour avant-hier – il est simplement nécessaire d’avoir le temps pour bien faire, pour produire de la qualité, prendre du plaisir mais aussi pour assurer une forme de pérennité dans l’objet fabriqué. Si l’on veut que ce dernier puisse perdurer, il faut le fabriquer avec certaines règles, et ces règles prennent du temps. Pour mettre cela en lumière, le mouvement « slow made » a comme objectif de réunir un certain nombre d’artisans, de designers et d’artistes pour qu’ils puissent parler du temps nécessaire à leur travail.

Définiriez-vous vos créations comme des produits haut de gamme ? Si oui, de quelle manière s’inscrivent-elles dans l’univers du luxe ?

Ce que je réalise rentre sans le vouloir dans les critères du luxe car, forcément, je fais des choses qui mettent un certain temps à être fabriquées, avec des matières qui peuvent être parfois onéreuses. Fatalement, j’arrive sur des prix de vente assez conséquents. Par ce biais, je rentre dans un univers qu’on peut appeler le « luxe ». C’est l’un des critères.

Mais d’autres concernent la typologie des objets, l’univers dans lesquels ils s’inscrivent, car il s’agit de réponses à des aménagements où a des boutiques, des hôtels qui sont eux-mêmes dans des critères concernant le haut de gamme et la qualité. C’est dans cette mesure que je m’inscris dans le luxe. Mais aujourd’hui, je pense que la vraie valeur du luxe est cette notion de temps qu’il est nécessaire de prendre pour travailler correctement. Il serait intéressant de démocratiser ce temps, qu’il soit bien plus accessible qu’il ne l’est actuellement. Et mon principal regret est de réaliser des pièces qui ne soient pas accessibles à tous.

Pour vous, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?

Pour moi, le chef-d’œuvre est quelque chose de presque inatteignable. Mais c’est ce qui est intéressant, c’est la quête dans laquelle nous nous inscrivions à chaque fois que l’on réalise un projet. Cela demande d’arriver en haut d’une sorte de pyramide. L’objectif est de parvenir à une sorte de quintessence, une pièce n’ayant besoin d’aucun ajout ou retrait.

La première question que l’on peut poser à une personne qui construit un édifice porterait sur ce qu’il fait. Le premier artisan répondrait qu’il casse une pierre, le deuxième qu’il construit un mur et le troisième qu’il bâtit une cathédrale. Si la sagesse préside à la construction d’un édifice, on peut presque aller vers une forme de chef-d’œuvre ou d’accomplissement, de quelque chose de « parfait ». Parce qu’il y aura eu une envie de dépasser la seule pièce physique avec un sens beaucoup plus précis, humaniste ou symbolique. Pour moi, cela réunit tellement de paramètres qu’il me paraît très difficile d’atteindre le chef-d’œuvre.

Pour vous, pourquoi l’art est-il si important dans nos vies ?

J’ai l’impression qu’on ne cesse d’essayer de reproduire ce que la nature fait de manière incroyable. Quand je regarde un paysage, une fleur, une échelle du micro ou macrocosme, je trouve que tout est magnifique. Je ne veux rien toucher mais juste contempler.

Quand moi, humain, je fais quelque chose, je suis sans cesse dans le jugement, dans le fait de modifier, de chercher ce chef-d’œuvre dont nous parlions à l’instant et qui est difficilement atteignable. En effet, peut-être que ce que nous faisons n’est pas naturel. Il s’agit peut-être d’un prolongement. On essaie sans doute de recréer un acte divin, une forme de création pure. Je crois que c’est en ça que la création existe, elle donne du plaisir au sens et apporte du bien-être. Selon moi, la chose qui soit la plus aboutie est la nature.

Ludovic Avenel – ebeniste et designer à Paris. Dans son Atelier de Fabrication à près de Melun (77) le 25 janvier 2014. © Silvère Leprovost

Le chef-d'œuvre est quelque chose, pour moi, de presque inatteignable. Mais ce qui est intéressant, c'est la quête dans laquelle on se met (...) où l'objectif est d'arriver à une forme de quintessence.

Ludovic Avenel