Portrait de Isabelle De Borchgrave
Portrait de Isabelle De Borchgrave

Isabelle De Borchgrave

Peinture

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De ses célèbres costumes en papier à ses récentes créations en bronze en passant par ses tableaux grandioses, Isabelle de Borchgrave, peintre, plasticienne et designeuse, est une artiste multidisciplinaire singulière. Par son imagination fertile, l’artiste offre une multitude de déclinaisons artistiques permettant d’entrer dans son monde esthétique empli de lumière, d’originalité et de savoir-faire implacable. Depuis ses débuts, elle n’a jamais laissé de côté ce qui l’a toujours guidé dans son existence : son amour pour la peinture. Entretien avec l’artiste sur sa passion inconditionnelle pour les arts et son incroyable aventure dans l’univers de la mode…

D’où vient votre passion pour la peinture, les arts décoratifs, les couleurs… l’art en général ?

J’étais intéressée par l’art avant de le savoir, avant même de pouvoir marcher. J’ai arrêté l’école à 14 ans. Mes résultats n’étaient pas mauvais mais l’ennui était épouvantable. Mes parents étaient très compréhensifs, ils m’ont laissé faire mais ne m’ont pas non plus porté. J’ai été à l’académie des beaux-arts en Belgique qui constitue à mes yeux une sorte de service militaire du dessin. Nous avons travaillé sur des feuilles blanches avec des fusains pendant trois ans. Pourtant, j’avais une attraction pour l’art décoratif, les tissus, la dentelle, les imprimés, et tout ce qu’il s’est passé à Mulhouse… j’ai découvert des montagnes de choses qui sont restées dans un petit coin de ma tête.

Pourquoi avoir choisi le papier comme médium de prédilection ?

Parce que lorsque vous n’avez rien, vous pouvez toujours trouver un bout de papier. Il vous éloigne de la peur, la peur d’abîmer notamment. Il y a des grands rouleaux sur lesquels je dessine, que je jette, que je reprends… Le papier a toujours été là pour raconter quelque chose. Au même titre qu’un écrivain, j’écris et je dessine pour raconter.

Comment avez-vous commencé à concevoir des costumes en papier ?

Vers mes 18 ans, j’étais invité à des fêtes, des bals… C’était une autre époque. Mais je n’avais pas de robe. Un jour, j’ai donc décidé de m’en fabriquer une avec un tissu que j’avais peint, je l’accrochais comme je pouvais, une fois sur l’épaule, une fois sur l’autre, puis de côté… Parfois c’était une jupe, puis un tissu… Et finalement, tout le monde voulait cette robe. Pas pour sa coupe, mais pour ce qu’elle racontait. C’étaient des robes qui racontaient une histoire alors que toutes les filles de mon âge avaient du taffetas avec trop de nœuds. Moi, j’avais une histoire. Nous allions partout, à la plage, dans la forêt, à la montagne, n’importe où, et j’emmenais toujours une histoire avec moi, comme un animal qui sortait. Tout le monde aimait cela. Finalement, j’ai reçu des commandes en croyant que cela allait définir ma vie. J’ai peint des tissus qui devenaient des “tissus portables”, car ce que je peignais se baladait.

Comment avez-vous vécu cette expérience dans le milieu de la mode ?

J’ai habillé des gens plutôt importants, la reine, des princesses… Puis, je me suis vue dans une situation très difficile parce que je perdais mon art, mon âme. Soudainement, je n’étais que quelqu’un qui exécutait des commandes. Les commandes sont très importantes mais ne doivent pas être réductibles. Je suis entrée dans un atelier de couture qui n’était pas mon rêve, bien que j’aime la haute couture. Finalement, je me suis petit à petit éloignée de ce milieu pour me rapprocher des tissus d’ameublement que je fabriquais à la main : des rideaux, des coussins, des canapés etc. Cela attirait beaucoup de gens.

Quel déclic vous a ensuite amené à élaborer une collection historique de vêtements en papier appelée « Papiers à la Mode » où 300 ans de l’histoire de la mode sont illustrés de Elizabeth Ire à Coco Chanel ?

Lorsque je suis allée au Canada, j’ai eu un grand choc lors d’une exposition au Metropolitan, à laquelle je me suis rendue avec une amie canadienne et costumière. Il y avait une rétrospective d’Yves Saint-Laurent et une collection permanente avec des costumes du XVIIIème siècle. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé… entre cette robe du XVIIIème qui avait l’air d’avoir été faite hier, ces chaussures jamais portées et Yves Saint-Laurent qui explosait, il est arrivé quelque chose de tellement fort… Ce n’était pas la mode. Est-ce que c’était le tissu ? Ou l’énergie de l’époque et de Saint-Laurent ? J’avais envie de voler une robe d’un jaune bouton d’or et j’ai dit à mon amie Rita : « Rentre du Canada. Je t’envoie un billet d’avion pour Bruxelles et nous allons créer des robes en papier ». Nous avons fini par faire dix-huit robes, mais qui n’étaient destinées à personne. C’était un luxe. À cette époque, je travaillais pour une compagnie américaine, Caspari, et lorsqu’ils ont vu les dix-huit premières robes, cela les a rendus complètement fou. Ils ont tout de suite dit : « Ne les installez jamais dans un grand magasin. Ne les vendez jamais car c’est muséal. » Les robes étaient dignes d’un musée car elles détenaient une grande vérité. On en compte aujourd’hui trois-cent. Ce sont elles qui m’ont emmené pour la première fois au musée d’impression des étoffes à Mulhouse. Lors de ma première exposition, j’ai été invité au musée de Boston et depuis, les robes ont été exposées dans au moins quarante musées.

Vous êtes animée par l’amour du tissu et de la mode à travers l’histoire…

L’amour du tissu est quelque chose de très difficile à expliquer. Ce n’est pas un bout de tissu que nous avons dans les mains, mais comment il a été perçu dans l’Histoire. Nous n’avons rien inventé à côté des Coptes. L’importance du tissu au XVIIIème siècle est primordiale. Celui d’une robe a été habité par la mère, peut-être aussi par la grand-mère… L’histoire dans l’étoffe m’intéresse, surtout à travers la peinture.

Et l’amour de la peinture…

La peinture fait partie intégrante de ma vie. Je peins absolument tous les jours, sauf aujourd’hui parce que je voyage. J’aime voir la profondeur des couleurs, et puis je fais ce que j’aime. Lorsque nous sommes devant un portrait de Bronzino, que ce passe-t-il ? J’ai envie de me souvenir de chaque pli, du dessin extraordinaire de la Renaissance, du fond bleu qui met en valeur la robe d’Éléonore, sa coiffure… Je compte les perles, je regarde la peau, la peinture, mais je regarde surtout ce que le tissu me donne. J’ai presque envie de retourner le tableau pour voir ce qu’il y a derrière. Finalement, je la prends par la main, je la mets debout et la représente en trois dimensions.

Selon vous, pourquoi l’art est important dans nos vies ?

L’art est de plus en plus important dans nos vies. Chaque être humain a besoin de s’évader. Certains le font dans la musique ou lors d’une promenade. Mais l’art propulse, il vous porte. C’est comme s’il y avait une petite main derrière vous qui vous poussait à regarder d’une autre façon.

Quelle est votre définition du luxe ?

Le silence.

Par votre pratique artistique, que souhaiteriez-vous apporter à notre société ?

Ce que je pourrais apporter, sans orgueil, est l’envie de faire. J’ai des expositions en ce moment au États-Unis auxquelles se rendent mille personnes par jour, un peu moins en Belgique. J’écoute ce qu’il s’y raconte. Hommes, femmes et enfants disent : « Moi aussi je vais faire une robe en papier ». Si vous arrivez à transmettre l’envie de faire, vous avez gagné.

 

Le papier a toujours été là pour raconter quelque chose. Comme un écrivain qui écrit, moi je dessine pour raconter...

Isabelle De Borchgrave