Portrait de Anne-Aurore Anstett
Portrait de Anne-Aurore Anstett

Anne-Aurore Anstett

Musique

https://artinterview.com/interviews/anne-aurore-anstett/

Actuellement altiste à l’Orchestre de l’Opéra de Paris, et professeur au CRR de Paris, Anne-Aurore Anstett a également fait partie de l’Ensemble Syntonia, le seul quintette avec piano constitué en France, dont les enregistrements ont été de nombreuses fois salués par la critique. Elle préside également l’Association Franco-Européenne de l’Alto. La talentueuse musicienne nous ouvre les portes des coulisses de l’Opéra Bastille pour un entretien sur la vision de son métier, sa démarche, ses inspirations, et sur le rôle essentiel de la musique dans notre vie. 

D’où vous vient cette passion pour la musique ?

J’ai toujours voulu faire de la musique. J’en entendais déjà dans le ventre de ma mère. Dès l’âge de quatre ans, j’ai souhaité jouer du violon et ça ne m’a pas quitté. Et à l’âge de six ans, j’ai suivi des études en classe à horaires aménagés avec l’école le matin et le conservatoire l’après-midi. J’ai fait tout mon parcours en études musicales. Il était donc évident pour moi, dès le départ, que je ferai de la musique.

Vous êtes altiste à l’Opéra de Paris, vous enseignez au conservatoire et dirigez une association. Votre métier recèle plusieurs facettes. Comment vivez-vous ces différentes activités de musicienne ?

Le métier de musicien a plusieurs facettes et c’est ce qui en fait sa richesse. Je fais partie des musiciens de l’Opéra de Paris. Dans ce cadre, il s’agit vraiment d’un travail collectif. Je suis également enseignante en conservatoire et c’est une partie très importante de mon métier car elle concerne la transmission. J’enseigne aux jeunes générations la pratique et la technique de l’instrument, mais je leur fais également part de toute l’expérience, de tout ce que je vis aujourd’hui sur le terrain. Puis, une troisième facette que j’ai vécu pendant une quinzaine d’années est la musique de chambre avec l’ensemble Syntonia, un quintette avec piano. L’unique constitué en France. C’est encore une expérience différente. Cinq musiciens, cinq solistes qui travaillent et jouent ensemble et qui défendent un répertoire finalement peu connu du grand public.

Pouvez-vous nous raconter une de vos expériences marquantes ?

J’ai la chance de travailler à l’opéra de Paris. Il est vrai que nous y avons des artistes formidables, des gens très inspirants. L’un de mes souvenirs les plus marquant, il y a peut-être une dizaine d’années, lors des représentations du spectacle Bohème avec Roberto Alagna et Angela Gheorghiu, je crois que j’ai pleuré à peu près à toutes les représentations, tout en étant dans la fausse et en jouant sur le final, au moment ou Mimi meurt. Des artistes qui nous font complètement rentrer dans l’histoire, c’est très prenant.

Quelles sont les qualités nécessaires pour réussir à faire de sa passion son métier ?

Je crois que la première chose est la passion. Il faut vraiment aimer ce que l’on fait. Il faut en être convaincu, en avoir viscéralement besoin. Cela passe également par la discipline de l’apprentissage de l’instrument, de l’ensemble des choses qui sont nécessaires sur un parcours musical. Je crois que j’ai eu la chance de savoir, très petite, ce que je voulais faire.

Puis, par le travail, d’une part, et par les rencontres avec les bonnes personnes, d’autre part, j’ai pu arriver au fil de mes études là où je voulais pour vivre de ma passion. C’est un beau parcours, mais cela demande beaucoup de perseverance et de volonté.

Selon-vous, où se situe l’art dans votre travail de musicienne ?

Je pense qu’il est difficile de dire à quel moment l’art intervient dans le métier de musicien en tant qu’interprète. Nous sommes beaucoup dans le contrôle de ce que nous faisons. On essaie de faire passer des émotions mais on ne peut pas vibrer de la même façon que le public qui lui, est en lâché-prise. Il est très difficile pour nous de dire à quel moment on passe à un autre degré d’émotion. Cela ne nous empêche pas de ressentir cette émotion au contact des autres artistes et dans le travail de la pratique collective. Mais au moment où l’on est en train d’interpréter, nous restons dans le contrôle.

On travaille sur des répertoires qui vont, pour l’Orchestre de Paris, de l’opéra de Mozart à aujourd’hui. Nous sommes à la fois dans un travail de création, mais aussi dans un travail de mémoire avec le répertoire romantique, classique, sur des pièces qui sont transmises de génération en génération. Elles sont peut-être interprétées avec un autre éclairage aujourd’hui, grâce à la mise en scène et à l’interprétation.

 

Je crois que d’une certaine façon, la musique classique est universelle dans le sens ou même si l’on ne comprend pas toujours les paroles, on peut être toucher par la musique.

Jouer dans un orchestre est une expérience à la fois individuelle et collective. Par le biais de la musique, que souhaitez-vous apporter, provoquer chez le public ?

Je dirais que le but d’un artiste est que le public ressente des émotions. Notre souhait principal est que le public sorte du spectacle en se disant qu’il a vécu un moment extraordinaire, sorti de leur quotidien. C’est en cela que je pense que l’art est vital.

Par le bais de l’art, de l’opéra, de la musique, j’espère toucher les gens, provoquer des émotions. Nous mettons souvent un couvercle sur nos sentiments alors que c’est important de pouvoir les ressentir et de s’évader par le biais de l’opéra en se projetant dans une autre histoire, une autre époque, un autre moment. Je crois que d’une certaine façon, la musique classique est universelle dans le sens ou même si l’on ne comprend pas toujours les paroles, on peut être toucher par la musique.

Quel est le fonctionnement de l’Opéra national de Paris ?

Il se déroule sur quatre lieux ; l’opéra Bastille, l’opéra Garnier, les atelier Bertier et l’école de danse. Les deux lieux de spectacles sont Bastille et Garnier. Nous sommes 1500 personnes à travailler pour l’Opéra de Paris. A peu près un tiers d’artistes, 170 musiciens, une centaine de cœurs et une centaine de danseurs. Il y a environ 120 métiers représentés entre les décors, les costumes, l’administratif, la communication… C’est beaucoup de métiers différents. En ce qui concerne les musiciens, nous sommes sur un fonctionnement de 35 heures en horaires éclatés. Les répétitions d’un spectacle se déroulent en journées tandis que le soir, nous jouons les spectacles déjà en route. Nous sommes toujours sur un roulement de deux à trois spectacles.

Y-a-t-il une œuvre qui vous a particulièrement marqué ?

Certaines œuvres m’ont marqué. Il y a, par exemple, l’autoportrait de Courbet appelé Le désespoir que je trouve absolument fascinant. Quand je regarde le personnage, je plonge dans le portrait. J’ai l’impression de ressentir ce qu’il ressent au moment où il est peint. J’aime beaucoup aussi les œuvres du Bernin, le sculpteur, notamment L’enlèvement de Proserpine à la villa Borgèse de Rome que je trouve fascinant. Je suis restée absolument scotchée devant cette sculpture lorsque je l’ai vu en vrai. Dans la musique c’est plutôt des œuvres : Don Giovanni de Mozart, La bohème de Puccini. Ça peut-être une soirée en particulier qui fait qu’il y a eu une émotion ce soir là et pas un autre. On a du mal à expliquer cela, mais une osmose se créer certains soirs. C’est plutôt une œuvre à un moment donné.

Selon vous, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?

C’est une œuvre qui me bouleverse, quelque chose qui me touche au plus profond de mon être et devant laquelle je reste complètement en arrêt, en émotion et qui m’interpelle très profondément.

Je pense qu’il est très important de rester au plus près de nos émotions.

L’émotion, est-ce en cela que l’art est-il important dans nos vies ?

Oui, je pense que l’art est nécessaire car il nous fait ressentir des émotions, et que dans notre société actuelle, on intellectualise beaucoup de choses en s’éloignant parfois de nos émotions primaires. Je pense qu’il est très important de rester au plus près de notre sensibilité.

De quoi rêvez-vous maintenant ?

Je crois que je vis déjà la vie dont j’ai rêvé. Je rencontre des gens formidables et j’ai envie de continuer à vivre de nouvelles expériences au sein de l’opéra et également en dehors. Je n’aspire pas à un autre rêve pour l’instant mais la vie peut toujours apporter d’autres surprises et je suis prête à les accueillir…

Crédit photo : Michel NGuyen

Je dirais que notre but est que le public ressente des émotions. Notre objectif principal est que les gens sortent du spectacle en se disant qu'ils ont vécu un moment extraordinaire, qui les sorte de leur quotidien...

Anne-Aurore Anstett