Portrait de Victoria Mann
Portrait de Victoria Mann

Victoria Mann

Curateurs

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AKAA (Also Known As Africa) est, en France, la première et unique foire d’art contemporain et de design axée sur l’Afrique. À Paris, au Carreau du Temple, cet évènement, accueillant une quarantaine de galeries provenant de dix-huit pays pour sa troisième édition, est devenu un rendez-vous majeur de l’art et du design. Un espace de rencontres et d’échanges, qui, de la peinture à la sculpture, en passant par le design et la performance, présente une diversité de talents rarement observée dans les grandes foires internationales d’art contemporain. Résonances, influences, dialogues ; la créativité des artistes, confirmés ou émergents, met en évidence la pluralité des liens culturels, commerciaux ou idéologiques qui relient l’Afrique aux autres régions du monde. Rencontre avec Victoria Mann, fondatrice d’AKAA.

Quel est votre parcours ?

À la base, je suis historienne d’art. J’ai démarré mon parcours aux États-Unis où j’ai étudié sous l’aile d’un professeur d’histoire de l’art africain qui m’a transmis sa passion. Je suis rentrée en France en 2010 où j’ai effectué un master à l’école du Louvre. Un travail de deux ans s’en est suivi à propos d’une collection de peintures de Madagascar produite dans les années 1920. À la fin de mes études, il me semblait qu’une carte manquait à mon jeu, celle du marché de l’art. J’ai donc travaillé avec la galerie Pace à Londres pendant un an. C’est en exerçant chez eux et en étudiant les foires qu’a émergé l’idée d’AKAA.

Pouvez-vous revenir sur la genèse d’AKAA ?

Je souhaitais monter un projet qui promeuve les artistes des scènes contemporaines d’Afrique. Mon idée première, et naturelle, était d’ouvrir une galerie à Paris. Néanmoins, c’est en travaillant avec la galerie Pace, en comprenant ce système des foires, que je me suis rendue compte que ce n’était pas une galerie de plus qu’il fallait créer à Paris, mais une plateforme qui n’existait pas. Une plateforme qui aurait un impact un peu plus important et immédiat sur une communauté plus large à un instant « T » du paysage culturel africain, et avant tout, une plateforme qui fédérerait autour de ce continent afin de mettre en avant les artistes de ces scènes contemporaines, tout en faisait attention à ne pas stigmatiser les artistes avec cette étiquette « Afrique ».

Quelle est l’ambition d’AKAA ?

Depuis le départ, notre message a été de présenter des artistes liés, d’une manière ou d’une autre, à l’Afrique. Le critère géographique n’importe pas vraiment. Il s’agit plutôt d’inviter artistes et professionnels du monde l’art qui les accompagnent à participer à la foire lorsqu’ils ont un lien revendiqué avec l’Afrique, et parce qu’ils ont une histoire à raconter par rapport à ce continent.

Quelle est la particularité de cette troisième édition ?

Cette édition nous a permis de mettre en exergue cette ambition première de redessiner une carte de l’art contemporain. Plutôt que de mettre les États-Unis et l’Europe au centre, comme à l’accoutumée, nous souhaitions y placer l’Afrique et observer tous les axes, tous les regards croisés, toutes les passerelles se construisant entre les artistes du monde entier.

Comment AKAA se positionne dans le marché de l’art contemporain ?

Concernant la foire, il s’agit d’un marché de l’art contemporain africain en évolution, encore fragile mais qui se stabilise au fil des années. Nous sommes simplement l’un des composants de ce marché fonctionnant avec tous les autres acteurs appartenant à cet écosystème. En outre, un marché en pleine évolution évoque la possibilité d’un équilibre très intéressant entre artistes établis et artistes émergents.

Etait-ce une volonté, dès le début d’AKAA, de présenter la création africaine dans sa pluralité ?

Effectivement, il est très important de rendre visible la pluralité, la diversité et la richesse de ces artistes ayant le talent et l’imagination de travailler tous types de médiums, d’influences, de sujets et de tonalités dans leur travail. Cette prise de conscience à AKAA nous paraît primordiale. Personnellement, je n’aime pas ce cloisonnement entre les arts ; tout artiste, peu importe son domaine, tire son inspiration des différents champs artistiques.

Arts premiers africains et Art contemporain africain : quelles relations établissez-vous entre ces deux arts ?

En effet, les arts classiques d’Afrique représentent une richesse très importante au sein du patrimoine de beaucoup de pays sur ce continent, mais l’un peut exister avec l’autre sans nécessairement en dépendre. Souvent, la frontière entre art classique et art contemporain en Afrique est très figée car nous ne voulons surtout pas les mettre dans le même panier. Il y a aussi l’empreinte d’un passé colonial lourd et polémique. Néanmoins, si l’on essaie de prendre de la distance face à ces discours et de réellement parler d’artistes, de contemporains, d’influences ; il se trouve que la tradition et la culture sont une influence première pour un grand nombre d’artistes.

Quels sont les coups de cœur de cette troisième édition ?

Le premier concerne Susana Pilard qui a réalisé notre installation monumentale. Elle est très importante pour moi car elle représente très justement ce croisement de cultures, d’identités, de regards croisés entre l’Afrique et les autres régions du monde.

Le second est peut-être, en revenant sur les questions historiques et contemporaines, le stand de Didier Claes et l’exposition de Kendell Geers, artiste sud-africain qui puise dans les influences traditionnelles et historiques congolaises. Son engagement envers la foire m’a fascinée. Le stand qu’il a imaginé a d’ailleurs fait la « Une » de beaucoup de posts Instagram, de presse, etc.

J’aimerais aussi évoquer mon coup de cœur personnel, l’artiste marocain Yassine Balbzioui. Sa peinture nous emmène dans un monde quelque peu loufoque, de rêveries, légèrement dérangeant mais très intriguant. Nous souhaiterions y entrer mais nous ne sommes pas sûrs. La foire m’a permis de découvrir ses aquarelles devant lesquelles je suis restée bouche bée, me ramenant dans un monde de rêveries et d’enfance.

Je terminerais en abordant cette fois une table ronde sur le sujet de la représentation des corps dans les mondes musulmans artistiques. En effet, AKAA est également une programmation culturelle. Les témoignages issus de cette table ronde ont été réellement touchant, constituant des moments de partage intenses, autant pour nos intervenants que pour le public. Nous avons assisté à un véritable moment de tension qui apaisa l’esprit de toutes les personnes présentes en abordant des sujets peu évidents. Cela est primordial pour moi car ce moment a illustré cette connexion sincère que l’on peut créer entre notre public et ses acteurs, au sens très large de ces scènes contemporaines.

Redessiner une carte de l'art contemporain (...) et placer l'Afrique au centre de cette carte. Et de centre, voir tous les axes, tous les regards croisés, toutes les passerelles entre les artistes du monde entier...

Victoria Mann