Par Fanny Revault
Teurk est un artiste complet qui puise son inspiration dans l’expérimentation. Issu de la génération de graffeurs des années 1990, il se fait connaître en allant peindre dans des lieux en conflit (Bosnie, Liban, Palestine…). De cette pratique du graffiti, il garde tout : l’énergie, le geste, le vertige ; entre rapport de force et apprivoisement délictueux. En atelier, il réussit intelligemment à conceptualiser un long travail plastique protéiforme où se mêlent expériences chimiques et art métallique. À l’aide d’une disqueuse et d’aimants puissants, il donne formes et figures à des œuvres (sculptures, peintures) singulières, atypiques et modernes. L’artiste évoque sa démarche artistique, le rôle du hasard dans la création, et la place de la science dans son art.
À quel moment vous-êtes vous intéressé à l’art ?
Venant d’une famille d’artistes, j’ai pu grandir dans un univers artistique. J’ai toujours eu conscience de cet héritage. Petit, je faisais beaucoup de dessins et au moment d’apprendre l’alphabet, je m’arrêtais sur les lettres que je dessinais. Ma mère devenait folle, je m’attardais sur chacune d’entre elles en les dessinant [rire]. Par la suite, j’ai intégré une école d’art à seize ans et découvert le graffiti.
Le graffiti est une démarche qui vous a très tôt fasciné. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans cette démarche artistique ?
Je travaille sur beaucoup de médiums. Le graffiti comprend une démarche en mouvement car il faut se déplacer pour aller sur le site. J’ai toujours aimé ce mouvement, la pulvérisation de la peinture par la bombe aérosol… Il y a une gestuelle qui existe aussi dans la peinture, mais dans le graffiti se situe aussi dans le déplacement. Je pense que c’est quelque chose que j’ai retrouvé tout au long de mon parcours. Même lorsque je dessine avec les liquides ferromagnétiques, je les déplace à l’aide d’aimants, c’est de la peinture qui bouge toute seule.
Votre procédé artistique utilise la mécanique des fluides. Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste cette pratique ?
Je fais des toiles autour des fluides parce que ce qui m’intéresse est toute cette mécanique qui les concernent. Tout ce qui est primitif et naturel me fascine. Il est vrai que les fluides et les liquides ont une vie propre, et quand je mets certaines encres dans de l’essence ou autre chose, une réaction avec un motif se déploie et se rétracte pour finalement disparaître. C’est génial pour créer des effets, mais comment faire une toile avec ce procédé ? C’est à ce moment que je me suis mis à faire beaucoup de recherches pour fixer tout ça. J’essaie de capter le mouvement du fluide en cours de route pour que l’on voit un peu les formes que cela peut prendre. On peut regarder cela au microscope tellement c’est fin. Un timbre-poste extrait de cela peut être agrandit et cela créer une autre toile.
La magie du magnétisme vous permet-elle de dévoiler des univers invisibles ? Le hasard et la surprise interviennent-ils dans votre travail ?
Oui, je travaille sur l’invisible, il y a une masse cachée que l’on ne voit pas. Mettre cela en lumière m’intéresse. Quand on fait un peu de chimie, on obtient parfois des réactions totalement imprévues et on se dit que c’est très intéressant. On essaie de le refaire et de travailler dessus, mais il s’agit d’une découverte, d’une surprise. Les choses se font un peu comme cela.
Il y a des ferrofluides mélangés avec d’autres liquides que j’appelle les « ferrobrains ». Cela créer comme des empreintes digitales ou des motifs qui ressemblent au cerveau, mais nous n’avons pas la technologie des nanoparticules. Le ferrofluide nous a appris qu’avec une solution de type eau, des motifs internes apparaissent, des formes ressemblant à des toiles incas ou aborigènes dont la population, peut-être sous effets psychotropes, avait accès à ce genre de motifs. Scientifiquement, on les obtient concrètement avec ces produits. C’est vraiment une matrice primitive.
La fluidité de ces techniques vous permet de réaliser des performances live à grandes échelles… Comment vivez-vous ces expériences « hors normes » ?
Je fais des projections en très grand format. Avec Antoine et Simon, nous avons projeté sur la Villa Médicis avec deux vidéoprojecteurs. Nous filmons des choses de la taille d’une carte postale, mais qui rendent vraiment très bien en grand format. Il n’y a plus cette notion d’échelle. D’un coup, nous sommes perdus dans un univers que nous ne connaissons pas, que nous n’avons pas l’habitude de côtoyer. Nous venons de l’eau, je pense que c’est quelque chose qui nous parle naturellement…
Votre recherche alliant Art et Science vous a-t-elle mené à collaborer avec des chercheurs scientifiques ?
J’ai effectivement voulu présenter ces recherches à la Diagonale de Paris-Saclay « art et science ». Ils ont retenu les graffitis et les fresques. Par la suite, nous avons rencontré des personnes du CNRS qui réhabilitaient un accélérateur de particules sur le campus et qui nous ont expliqué la fusion de deux laboratoires. Ils souhaitaient faire une fresque pour marquer le coup sur l’enveloppe de l’accélérateur. En discutant avec eux, nous avons créé un dialogue sur une année avec des prix Nobels et nous sommes partis dans une boucle de l’infiniment grand jusqu’à l’infiniment petit pour tenter de créer des corrélations.
Teurk
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Teurk – Placarstre
Teurk
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Teurk – Lagb Rose
Teurk – Spirale Liova
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