Portrait de Pierre Moos
Portrait de Pierre Moos

Pierre Moos

Curateurs

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À Paris, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, la dix-huitième édition de Parcours des Mondes, salon international de l’Art Tribal, est aujourd’hui devenue l’événement majeur des arts anciens extra-européens. Loin d’être un monde à part, les arts premiers sont attendus avec enthousiasme par les amateurs et collectionneurs. Pierre Moos, directeur du parcours, a su relever le défit de sauver ce salon et de l’ouvrir à d’autres horizons… Entretien avec un collectionneur passionné et pragmatique.

Comment est né Parcours des Mondes ?

Parcours des Mondes existe depuis 18 ans. Au départ, cela s’appelait Chaos et perdura pendant trois ou quatre ans. Ensuite, il y a eu certains problèmes financiers et cet évènement était appelé à disparaître. J’ai été appelé pour reprendre cette foire pour une raison bien simple : je possède un magazine, Art Tribal. Tout le monde savait que j’étais passionné par cet art et qu’ayant vendu mes affaires, j’essayais d’assouvir mes passions dans ce milieu.

Quelle était votre ambition en reprenant la direction de cet évènement ?

J’ai donc repris cette organisation et je l’ai développée, un peu à la manière dont j’ai développé mes affaires, c’est à dire en faire quelque chose d’international en investissant beaucoup d’argent dans cette opération. J’ai été épaulé par certains de mes amis et nous avons fait en sorte que Parcours des Mondes devienne incontournable. Ce pari est réussi car l’organisation est, déjà depuis quelques années, le lieu de rencontre du monde entier.

Comment se déroule ce parcours à la découverte « du monde » ?

Nous avons 65 galeries qui exposent dans le quartier des Beaux-Arts. Nous avons souhaité faire une formule comme celle-ci car elle est très ludique et permet une promenade. Finalement, nous avons ouvert 65 petits musées dans lesquels les gens peuvent rentrer sans billet d’entrée. Les portes sont ouvertes pour visiter, interroger, regarder et comparer. Finalement, c’est ce qui fait son attrait. Parcours des mondes est maintenant une foire ouverte pour les gens qui peuvent se promener en allant de galerie en galerie dans le quartier des Beaux-Arts.

Centré principalement sur l’art africain, vous avez récemment ouvert le parcours à d’autres disciplines comme l’archéologie. Est-ce une façon de l’enrichir de nouvelles perspectives ?

Quand nous avons repris cette organisation, elle était, en effet, surtout centrée sur l’art africain, avec très peu d’art océanien. Nous avons souhaité, puisque nous nous appelions déjà Parcours des Mondes, ouvrir sur d’autres horizons. Nous avons donc rajouté l’art asiatique, l’art d’Asie du sud-est, et récemment, nous avons souhaité ajouter l’archéologie. Pourquoi tout ce monde ? On s’appelle Parcours des mondes, nous ne voulions donc pas nous concentrer sur un monde qu’était l’Afrique ou l’Océanie, mais ouvrir au monde entier. Maintenant, nous couvrons sa globalité… Ce qui est d’ailleurs passionnant est qu’au départ, nous pensions que les gens étaient monomaniaques et que tout était cloisonné. Or, ce n’est pas le cas. Il y a des ponts entre chacune de ces civilisations, qu’ils soient situés dans le temps ou l’espace. En regardant bien, il est possible de s’en apercevoir.

Que recherchent les collectionneurs dans un salon comme celui-ci ?

Les collectionneurs constituent une race un peu à part … J’en sais quelque chose puisque j’en suis un moi-même. Il y en a des raisonnés et des boulimiques. Personnellement, je fais partie de cette deuxième catégorie. Parmi les collectionneurs d’art tribal, il y a le monde entier. Les gens qui collectionnent principalement cet art font généralement aussi d’autres acquisitions en peinture. Tout cela s’inclut dans une démarche intellectuelle. Je sais que beaucoup de collectionneurs ont été influencés par les relations qu’ont eu les grands peintres cubistes ou autres avec l’art africain. Ceci est quelque chose que l’on sent. Et à chaque achat, il y a un parallèle qui s’instaure.

Les collectionneurs d’art tribal collectent d’autres choses, c’est passionnant. Nous avons d’ailleurs réalisé une étude à travers le magazine et nous nous sommes aperçu que sur cent collectionneurs, 75% possédaient des objets différents, et pas seulement de l’art tribal. D’autres, monomaniaques, ne veulent collectionner qu’une région ou un type de masque. Nous venons par ailleurs de faire un reportage sur une personne collectionnant les masques kifouébé. Il doit en avoir 200. Personnellement, je trouve cela un peu ennuyeux. Ce qui est beau est la diversité.

En tant que collectionneur, qu’est-ce qui vous séduit dans les arts anciens extra-européens ?

L’originalité, la recherche qui aboutit à cette pièce et souvent, je reconnais le parallèle avec l’art d’aujourd’hui ou d’hier. C’est cela qui me passionne. Je prendrais deux exemples. Pendant le parcours, j’ai acheté pour très peu d’argent un petit bouclier chinois. En réalité, ce bouclier est une peinture de Jasper Johns, grand peintre américain. J’ai aussi acheté une pièce éthiopienne qui est une sorte de parchemin qui m’a fait penser à la prose du transsibérien de Sonia Delaunay et Blaise Cendrars car il s’agissait d’un texte sur deux mètres, sur un parchemin avec de très belles peintures qu’on pourrait même dire cubistes. Mais cela a été réalisé dans les années 1880, donc très tôt. Je pense que c’est ce que recherche les collectionneurs. Si l’on regarde maintenant dans les catalogues de vente, un parallèle est toujours fait entre la pièce mise en vente et des tableaux ou des sculptures. Finalement, je pense que c’est une démarche suivie par beaucoup de collectionneurs, dont moi.

Quelle est la vision occidentale de l’art tribal ?

Elle rejoint la peinture… On ne peut pas dissocier la peinture du début du siècle dernier de l’art tribal. Ce n’est pas possible. Prenez n’importe quel livre, vous y trouverez ces parallèles. Par ailleurs, pour les collectionneurs, la Bible est l’exposition de Bill Rubin sur le primitivisme au XXème siècle, à New York en 1987. Il n’y a que des icônes, c’est extraordinaire. Finalement, il a mis dans cette exposition et sur papier tout ce que les gens imaginaient avant, pendant et après. C’est le livre qu’il faut avoir, avec ses parallèles étonnants. Cela a déclenché une vague de collectionneurs et m’a, personnellement, conforté dans ma vision. Ce fut un bon éclairage pour moi, et pour beaucoup de collectionneurs.

Selon vous, quelle est l’influence de l’art tribal sur l’art occidental contemporain ?

Dans l’art occidental contemporain, je n’en connais pas. Il y a certains artistes contemporains africains qui ont été influencés par leur art, l’art Africain ancien et c’est tout à fait logique car certains de ces artistes contemporains sont les petits-fils, arrières-petits-fils des sculpteurs du XIXème et début XXème siècle. Il y a donc une logique. Mais je crois que même en Afrique, ils cherchent à se détacher de cette histoire. Mais on retrouve quelquefois, chez certains artistes, des réminiscences. C’est quand même assez rare.

L’influence de l’art tribal est manifeste dans l’art moderne…

L’art moderne oui. Brancusi, Modigliani, Léger… Les grands noms de notre siècle ou du siècle dernier ont tous à un moment, collectionné ou ont été influencés pas seulement par l’Afrique mais par l’Asie et l’Océanie du côté des surréalistes. Un des exemples les plus marquants avec le cubisme est le surréalisme. Quand vous voyez les pièces de la Nouvelle Irlande, vous comprenez les surréalistes.

Sans oublier Picasso…

Ça l’a été, même s’il a toujours renié bien qu’il possédait plusieurs centaines d’objets d’art Africain. Cherchez l’erreur !

Quel est, à vos yeux, le rôle de l’art dans la société d’aujourd’hui ?

J’aimerais pouvoir vous dire qu’il a un rôle pacificateur. Ce n’est malheureusement pas le cas. Je ne peux pas non plus dire qu’il n’a pas existé car au départ ce n’était pas de l’art. Il s’agissait plutôt d’invoquer les dieux ou de se protéger. Il avait des fonctions. Aujourd’hui, cela a été fourvoyé dans le sens où nous regardons l’esthétisme. On peut nous expliquer leurs fonctions, mais le masque ou la sculpture qui sont en occident n’ont jamais été utilisés. Finalement, c’est une espèce de mythe que nous créons pour nous-mêmes. Mais c’est formidable, cela permet de rêver. Je pense que l’art permet cela. Je reste parfois des heures devant une pièce. Je suis un cas et je parle aux pièces, et souvent elles me répondent…

Quelle serait votre définition d’un chef-d’œuvre ?

Pour moi, un chef-d’œuvre est quelque chose qui me donne envie de vivre avec…

Pour les collectionneurs, la Bible est l'exposition de William Rubin sur le primitivisme au XXème siècle, à New York en 1987 (...). Cela a déclenché une vague de collectionneurs et m'a, personnellement, conforté dans ma vision...

Pierre Moos