Portrait de Philippe Echaroux
Portrait de Philippe Echaroux

Philippe Echaroux

Art Digital

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Ses installations lumineuses éphémères ont fait le tour du monde, projetant sur les arbres des visages d’Indiens de la tribu Surui, menacée par la déforestation en Amazonie. Cet ancien kitesurfeur, adepte des sports extrêmes, est devenu en quelques années un photographe, portraitiste et street artiste hors pair. Mais Philippe Echaroux a une particularité : le Street Art 2.0. Un concept novateur qu’il prône dans l’espace public aux quatre coins du globe, braquant sa lumière bénéfique sur les problèmes écologiques et environnementaux avec des images et des phrases puissantes. Monuments, façades, voitures, ponts, arbres, crêtes enneigées… tout devient propice à ses créations pour toucher le plus grand nombre, sans jamais laisser de trace. Pour lui, l’art doit avoir du sens. Cette vision artistique sociale, il la conte dans sa récente monographie, rédigée pendant le premier confinement. Tremplin parfait pour faire la lumière sur l’œuvre et l’engagement de cet autodidacte marseillais de 38 ans à la renommée croissante.

La déforestation, la pauvreté, la fonte des glaces… Vous vous impliquez dans de nombreuses grandes causes à travers le monde. L’art comme résistance était-il un précepte fondamental pour exprimer le vôtre : un art visuel et textuel ?

C’est surtout venu naturellement. Paradoxalement, je ne m’intéresse pas vraiment à l’art. Ce n’est pas mon monde, à titre personnel, même si cela fait partie de mes envies de créer des liens avec l’art. Quand je me lance dans un projet, tout part d’un pourquoi et de symboles. Jamais pour concevoir uniquement de belles images. Je ne suis ni attaché à la photographie ni au street art. Ce qui compte pour moi, c’est le message que je vais porter et l’impact qu’il va avoir sur le public.

Deux niveaux de lecture se fondent dans mon travail. Pour parler au plus grand nombre, j’utilise des éléments qu’ils connaissent déjà : l’Amazonie renvoie à la déforestation d’une façon globale, Calcutta à la pauvreté, etc. Je suis aussi guidé par cette volonté de témoigner des parcours humains et de créer des vocations, en encourageant les gens à réaliser ce qu’ils aiment, à se lancer dans ce qui les anime. Je croise trop de personnes résignées, aigries dans leur quotidien. Je ne suis pas meilleur qu’eux, je n’ai pas de meilleures dispositions, mais je tente, je bidouille, j’ose. Comme il est toujours très facile de le dire, j’essaie donc de le prouver dans mes œuvres et dans mon propre parcours. Car les actes restent très importants.

Vous avez réinventé le street art en utilisant l’appareil photo et le projecteur à la place de la bombe aérosol, mais aussi signé des portraits authentiques et émouvants d’anonymes et de célébrités, comme Zinedine Zidane. Comment jaillissent vos idées ?

Je voulais surtout trouver un moyen d’agir autrement, en fonction de tout ce qui existe sur les murs depuis des années. Je ne voulais pas être un énième interprète de JR, Banksy ou Shepard. J’étais déjà un photographe reconnu pour mes éclairages de studio, cela me paraissait donc cohérent d’offrir un autre regard en lien avec cet outil que je maîtrisais. Étant complètement extérieur au street art, j’ai pu proposer une alternative avec la lumière qui ne laisse pas de trace. J’ai pu ainsi m’extraire des codes classiques pour des créations qui ne restent pas.

À quel moment ressentez-vous l’instant création ?

Tout reste instinctif. Je me prépare bien en amont pour laisser une part importante au hasard. C’est à cet instant que la création intervient. Car tout peut changer. Ce fut le cas pour le projet à Cuba. Au départ, il s’agissait d’une invitation pour participer à la biennale d’art contemporain de la Havane, mais au contact des Cubains, j’ai eu une autre envie : celle d’intervenir sur la liberté d’expression. Mes sujets sont un terrain de jeu géant. Lié aussi à différentes contraintes techniques (pluie, humidité, sécheresse, froid…). À l’image du projet sur la fonte des glaces entre l’autonomie des batteries qui ne tiennent pas longtemps et la difficulté de se déplacer la nuit. Cela fait partie de l’aventure, ces situations sont contraignantes mais tout aussi stimulantes.

La déforestation en Amazonie est une cause qui vous est chère et assoit finalement votre expertise. Comment s’est construit votre champ d’exploration pour ce projet centré sur les menaces auxquelles sont confrontés les Indiens Surui ?

Il s’agit d’une vraie rencontre nourrie d’une particularité : celle de nous rester à vie. On reste engagé pour avoir vu de près la situation dans laquelle ils se trouvent. Nous n’avons pas d’autre choix que d’en parler le plus possible. Je suis sensible à l’écologie et en exerçant cet art éphémère, tout devient cohérent. L’Amazonie est un symbole fort, universel. Je projetais déjà des portraits sur des murs et des arbres dans ma ville. Procéder de cette manière avec ce peuple autochtone du Brésil pour personnaliser les arbres devenait bien plus impactant. D’autant plus avec ce message : « Quand vous abattez un arbre, c’est comme si vous abattiez un Indien ».

L’idée de joindre l’écologie, le symbole de l’Amazonie et les arbres est ainsi née de cette réflexion. J’ai ensuite fait des recherches sur des tribus qui vivent dans cette région d’Amérique du Sud et j’ai contacté de nombreuses associations. Thomas Pizer d’Aquaverde a répondu très vite et l’entente s’est imposée naturellement. Entre l’idée et la concrétisation, il s’est passé deux ans pour, à la fois, rassembler les financements, expliquer aux Indiens qui j’étais et mes intentions. Nous sommes restés une quinzaine de jours chez eux, auprès d’eux. Thomas Pizer est le seul Européen à être intronisé dans cette tribu indienne. La barrière de la langue a été difficile mais finalement surmontable.

Au-delà du projet artistique, ce fut vraiment un échange humain, riche de savoirs. Ils sont touchants et très ouverts. Leur seul problème, c’est l’homme blanc. Et pourtant, ils parlent de défendre notre forêt malgré tout. C’est incroyable. Ils ont une approche dont on a beaucoup à apprendre.

Première Mondiale: du Street Art au coeur de la Forêt Amazonienne – World First Street Art in the Rainforest.

Vous avez évoqué la lumière. Tout votre travail est en effet basé sur sa captation, sa projection sur l’environnement et les architectures, son interaction avec la matière et son évolution. À quel moment avez-vous senti que cette gestion deviendrait votre signature ?

C’est ce qui m’a attiré dans la photographie. Elle est réelle, physique, éphémère, ce n’est pas le résultat d’un travail derrière un ordinateur. Je trouve d’ailleurs intéressant de créer des mises en scène, des situations et des portraits ressemblant à des photos retouchées qui n’en sont pas car cette lumière agit, change et évolue devant moi. Comme je suis un acharné dans le travail, j’ai développé cette gestion de la lumière jusqu’à inventer mes propres éclairages. Quand je m’intéresse à un sujet, j’essaie aussitôt d’inventer mon propre langage pour ajouter ma pierre à l’édifice. Au départ, je voulais faire de l’art dans la rue en placardant des photos sur les murs avec de la Patafix ou en les accrochant à des ballons de baudruche qui volaient. Puis l’idée de la lumière a germé au milieu de plein d’autres idées. En définitive, il s’agit toujours d’expérimentation.

Comment s’est manifesté ce passage entre portraits et street art 2.0 ?

Les portraits me plaisaient mais je sentais que mon travail se limitait. Je voulais me lancer dans un projet social, utile, et m’adresser à Monsieur tout le monde, à des gens comme moi qui ne s’intéressent pas à l’art. Si l’envie de ne pas laisser de trace est venue rapidement, la projection dans la rue est devenue évidente et un concept génial car accessible à tous. On ignore même qui on va toucher ; c’est tout l’intérêt du street art.

Et comment se déroulent vos projections ?

Je reste très alerte sur tout ce qui se fait en matière de technologies. Selon les lieux de mes projets, j’essaie le plus souvent de recharger les batteries pour des projections à l’énergie solaire. Aujourd’hui, cela reste encore très lent. On ne peut recharger qu’une partie au solaire et le reste au secteur. J’ai plusieurs types de batteries pour alimenter mon projecteur de façon différente mais elles mettent beaucoup de temps à se recharger même sur secteur. J’ai des grands chargeurs solaires, ce sont des grands panneaux photovoltaïques. Pour autant, cela rame encore.

After The Dream – Philippe Echaroux

Votre initiative « After the Dream » visait à sensibiliser les nouvelles générations aux problèmes des déchets. Représente-t-elle également l’un de vos crédos dans votre travail ?

Toujours. Ici, je voulais réaliser un projet pratique et utile. Je me suis alors demandé : Que peut-on faire par rapport aux déchets ? J’ai choisi Los Angeles comme symbole et j’ai ramassé des déchets pour en faire des œuvres d’art. Personne ne s’attendait à un tel projet car nous n’en avions pas parlé. C’est une installation différente des autres. Nous avons accroché les déchets avec du fil de pêche pour former une structure qui ressemble à un fond de studio. On les a fait flotter dans les airs sur différents filets de pêche en projetant des portraits de locaux shootés au hasard. De loin, on ne se rend pas compte qu’il s’agit de déchets. Le rendu est surtout intéressant en vidéo. Cette initiative a été soutenue par l’Éducation nationale en vue de la diffuser dans les écoles car ce qui compte, ce n’est pas tant l’œuvre mais les déchets ramassés. Il est vraiment question d’un passage de flambeau.

Au-delà de ne laisser aucune trace sur l’environnement, qu’est-ce qui vous plaît dans l’éphémère ?

Il remet tout en place. Cela évite de prendre la grosse tête car on passe du temps à créer une œuvre, à partir dans tel ou tel pays, comme Calcutta pour des portraits d’enfants des rues, qui ne va finalement exister que dans un temps très limité ; d’une minute à toute une nuit. J’aime cette idée de concevoir une œuvre qui ne dure pas. Nous sommes nous-mêmes éphémères par définition et ce qu’on produit l’est également, même si j’immortalise toutes ces installations dans mes photographies.

Vous êtes aussi un adepte de l’instantané. Vos portraits répondent-ils à ce souhait ?

Ma démarche reste proche de celle des sports extrêmes. C’est très rapide. Je ne laisse personne réfléchir, ni la personne photographiée ni moi en train de prendre la photo. Célébrités ou anonymes, peu importe. Cette prise de risque est intéressante. Je travaille suffisamment en amont pour me permettre cette spontanéité. J’aime le vrai, le pur, le simple. C’est la raison pour laquelle j’ai shooté beaucoup de portraits de face sans décor. Et ce n’est pas facile de faire simple (rire). Mais cela fonctionne car on me contacte souvent pour ce type de projets. Pour la campagne de la Fondation Abbé Pierre en 2019, j’ai réalisé des portraits vrais, crus, sans artifice, non pas sur un fond blanc mais dans la rue.

Passer du sport extrême au monde de l’art, est-ce pour vous une continuité plutôt qu’une césure ?

Oui, c’est exactement la même chose. Je me suis retrouvé à bidouiller des kitesurfs à Marseille puis à monter mon projet en Amazonie, mais c’est le même type de personnes qui m’entoure. Ce sont souvent des anciens sportifs de sports extrêmes. C’est un peu une équipe géante de surfeurs. Pour du sport ou pour de l’art, c’est donc pareil, à la différence que mes œuvres ont un message porteur. Je garde cette même volonté de créer et de partager. J’ai toujours pratiqué des sports qui sont aussi par définition instantanés. Quand vous surfez sur une vague à Hawaï ou ailleurs, elle n’existe qu’une fois. Et celles qui suivront seront différentes. J’essaie de profiter au mieux de la fenêtre que j’aie pour réaliser ce que je veux.

Vous avez en effet le goût du challenge et du risque. Vous dites d’ailleurs dans votre livre être enclin à l’art du rebond, cette capacité à savoir rebondir face aux épreuves et comment il s’exprime dans votre parcours de vie. Quid du projet de projection in situ avec le Louvre qui ne s’est pas réalisé ?

Pour l’instant, tout est au point mort. À l’époque, ce projet ne concordait pas avec la thématique de l’année, dédiée à l’Afrique, même si je leur ai répondu que l’écologie, c’était tout le temps, tous les jours. J’ai pris conscience que tout est une question de timing où se joint une part de chance et de réussite. Ce projet se fera car je veux le faire, peut-être sous une forme différente ; c’est l’art du rebond. Je pense aussi qu’il est important d’exister dans la sphère institutionnelle, à l’image de mon projet en hommage aux Paiter Surui dans le jardin du musée du Quai Branly [exposition « Dans la Mémoire du monde », ndlr]. Car les projets suivants auront plus de poids et les messages plus d’impact. Mon art n’a pas changé, mais mon portfolio s’étoffe et cela modifie la perception des gens sur mon art.

Dans le texte introductif de votre livre, Cyrille Gouyette, historien de l’art et chargé de mission au Musée du Louvre, écrit que votre regard s’ancre dans la continuité de Walker Evans, Diane Arbus, August Sander ou encore Sebastiao Salgado. Et vous, qu’est-ce qui vous inspire et vous anime ?

Le parcours des individus reste vraiment ce qui m’anime. Mais les sportifs de haut niveau et les musiciens aussi. Je cite souvent Bob Dylan car ses textes sont toujours d’actualité et semblent totalement intemporels. C’est inspirant, même si je crée un art éphémère.

Selon vous, pourquoi l’art est-il si important dans nos vies ?

C’est un magnifique outil de partage. Je pense que la plupart des gens vivent dans une forme de couloir et l’art est une petite fenêtre qui s’ouvre de temps en temps sur le côté. C’est la raison pour laquelle je m’y intéresse en tant que créateur et non en tant que spectateur. C’est une belle manière de partager ce qu’on est, ce qu’on fait, avec les autres. D’essayer de leur amener du bon et de les divertir. Les sports extrêmes ou les sports pratiqués à haut niveau répondent à une forme d’art. Ils deviennent artistiques quand jaillit ce moment rare et instinctif chez le sportif.

Comment envisagez-vous 2021 et, plus largement, l’avenir ?

De manière positive, car on commence l’année en sortant un nouveau projet avec l’Olympique de Marseille. J’ai photographié des supporters de l’OM qui ont œuvré pendant les deux confinements en livrant des repas à des gens dans le besoin. Je voulais montrer l’humain et casser les préjugés sur les supporters sportifs, vus comme des beaufs agressifs. Les photos ont été projetées sur les tribunes ; une manière de faire vivre le stade quand il est vide. Je trouvais aussi très agréable de passer du projet du Quai Branly en octobre dernier à celui-ci. J’aime toucher des publics différents.

2021 sera sans doute une année d’expositions publiques. C’est important pour moi de mettre de l’art sous les yeux de Monsieur tout le monde. Ce seront des projections visibles toute la nuit, qui s’allumeront avec les éclairages municipaux. C’est intéressant en termes de visibilité. 2021 sera aussi une année de préparation pour 2022, avec un regard toujours environnemental. Car l’environnement touche tous les secteurs, y compris l’économie et le social. C’est véritablement la cause que je considère comme la plus profonde et dont il faut toujours parler.


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Philippe Echaroux
In Fine – Éditions d’art
2020, 200 p, 35 €

Je suis sensible à l’écologie et en exerçant cet art éphémère, tout devient cohérent. L’Amazonie est un symbole fort, universel. Je projetais déjà des portraits sur des murs et des arbres dans ma ville.

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