Portrait de Philippe Cognée
Portrait de Philippe Cognée

Philippe Cognée

Peinture

https://artinterview.com/interviews/philippe-cognee/

Trouver le bon sujet, celui qui colle non seulement à l’actualité de ses préoccupations mais qui s’inscrit de façon pertinente au trajet déjà effectué. Tel est le souci récurrent qui l’obsède. Philippe Cognée appartient à cette génération d’artistes apparue avec les années 1980 dans un moment où celle-ci s’interrogeait sur la question du figurable en peinture. En même temps, l’artiste ne cessait d’explorer tous les possibles matériels et protocolaires pour instruire les termes d’une esthétique qui lui soit singulière. Près de quatre décennies se sont écoulées depuis ses tout premiers débuts et le peintre n’a rien perdu de la vivacité de ces questionnements. Ils l’ont conduit à la réalisation d’une œuvre dont la marque procède de la conjugaison entre une iconographie du réel existant et le soin d’en exprimer la présence pérenne. Par-delà forme, facture et sujet, une œuvre qui dépasse toute contingence pour gagner une résistance.    

Au début des années 1990, vous avez mis en place un protocole de travail qui est devenu comme une espèce de marque de fabrique personnelle : peinture à la cire sur toile marouflée sur bois. Comment cela est-il advenu ?

J’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence en Afrique, au Bénin, mes parents y étant enseignants dans le cadre de la coopération. La peinture à la cire y est employée sur tout le continent à la fabrication de batiks. Ce sont des tissus dont les motifs sont teints en masquant successivement les parties que l’on veut préserver. Rentré en France, rêvant déjà de devenir artiste, j’en ai fabriqué moi-même pour me faire un peu d’argent de poche, en même temps que je faisais des petites aquarelles que je vendais sur les marchés. Quand j’étais à l’Ecole des Beaux-arts, j’ai découvert le travail à la cire de Jasper Johns que je ne connaissais qu’en reproduction. Cela m’a conduit à travailler avec de la cire d’abeilles que je liquéfie en la réchauffant sur une plaque de gaz ce qui permet de recouvrir la surface du support utilisé sans rien oblitérer de sa nature physique.

De quelle manière cette influence africaine et l’usage que vous avez fait de cette technique à la cire ont-ils marqué les premières années de votre carrière ?

Au cours des années 1980, j’ai développé une iconographie de figures primitives, sinon rudimentaires, peintes, gravées ou sculptées et, dans ce dernier cas, tout d’abord taillées à la hache, puis à la tronçonneuse. Je combinais même parfois peinture et sculpture dans la même unité d’œuvre en enserrant une toile dans un large encadrement peint et sculpté en bas-relief. En même temps, j’ai réalisé toute une série de peintures à l’acrylique sur papier froissé que je marouflais sur bois pour qu’ils gagnent en tension.

Il semblerait qu’à partir du milieu des années 1990 vous ayez trouvé « votre » technique, celle d’une surface dont vous écrasez la matière, à travers un film rhodoïd, à l’aide d’un fer à repasser.

Avec le temps, on met petit à petit en place un protocole avec des gestes et des moyens techniques qui correspondent à l’image à laquelle on souhaite parvenir. Il y a toujours eu chez moi cette volonté de construire et de détruire tout à la fois en vue de trouver un troisième état dans cet entre-deux. La peinture à l’huile, il faut toujours attendre un certain temps qu’elle sèche avant de pouvoir la retravailler ; la peinture à l’acrylique, une fois posée, c’est comme une peau plastifiée, on ne peut pas la retoucher. La peinture à la cire, quant à elle, me permet de faire émerger cet entre-deux car c’est un matériau ductile qui reste toujours disponible comme dans son premier état. Cette qualité m’intéresse pour transposer dans le matériau l’image à faire. En utilisant un fer à repasser, je peux modifier à ma guise la surface cireuse et répéter ainsi l’opération autant de fois que nécessaire.

Philippe Cognée – Guillaume et Thomas – 1996 – 180 x 120

Quelles sont donc les différentes phases de la réalisation d’un de vos tableaux ?

Tout commence par la constitution en amont d’un réservoir d’images que je fais au cours de mes déambulations avec mon appareil photo, voire ma petite caméra vidéo. Le sujet, je le prends là où mes yeux se posent. Aujourd’hui, j’utilise plus fréquemment mon téléphone portable pour saisir à la volée, sans idée préconçue, une série du même motif – les fleurs d’un cerisier, une maison couverte de tags, un paysage d’arbres, une scène d’intérieur, etc. Tout est ensuite intégré dans l’ordinateur et classé plus ou moins par sujet. Le moment venu, je puise alors dans ce réservoir une ou plusieurs images qui correspondent au mieux avec l’idée que j’ai en tête. J’utilise alors Photoshop pour modifier le cadrage, supprimer tel ou tel détail, régler l’intensité des couleurs, de la lumière, etc. Cette étape terminée, j’imprime l’image retenues qui va me servir de modèle pour la peinture.

Philippe Cognée – Tournesols – 2019 – 200 x 150

Comment s’opère le choix du châssis sur lequel vous allez travailler ?

J’en prépare en avance un certain nombre de sorte à en avoir toujours à l’atelier prêts à être utilisés le moment venu. Je fais fabriquer par un serrurier des châssis en aluminium sur lesquels je visse moi-même une plaque de contreplaqué en peuplier qui est un bois résistant et léger. Après en avoir poncé les bords, je choisis une toile à grains plus ou moins fins, en fonction du rendu souhaité, que je maroufle sur le contreplaqué tout en enveloppant le châssis.

Quel genre de toile utilisez-vous ?

J’utilise une toile à l’état brut, que je laisse à cru pour que la cire s’y accroche et rentre dans les fibres. Une toile préparée, recouverte d’un gesso, ne le permettrait pas car elle serait lisse et ne retiendrait pas la cire.

Quelles sont les étapes du travail de la peinture proprement dit ?

Je dessine tout d’abord au fusain sur la toile les contours du motif choisi. Pour ce faire, soit je projette l’image sur la toile, soit je dessine directement dessus, à main levée, en suivant le modèle imprimé. Il n’y a pas de règle absolue, cela évolue au fur et à mesure du travail. Les images de paysages et de fleurs que j’ai faites ces temps derniers, je les ai dessinées au pinceau à même la toile, sans passer par aucune ébauche préalable. Ensuite, je passe à la peinture à la cire en suivant plus ou moins le dessin sans m’y contraindre en aucune façon. A ce stade-là, le tableau présente un double aspect : d’une part, le motif n’est que grossièrement figuré, pas toujours reconnaissable à première vue ; de l’autre, la surface s’offre à voir comme un puzzle de plaques de cire aux couleurs plutôt mates.

Quelles transformations lui faites-vous alors subir ?…

Dans un premier temps, après avoir apposé un film rhodoïd dessus, je déforme plus ou moins l’image à l’aide du fer à repasser. Puis j’enlève le film en veillant à ce que la cire ne casse pas. C’est un travail qui demande une grande concentration et une grande maîtrise. Mais, en réalité, chaque tableau appelle un processus particulier et l’emploi d’outils différents : travailler à l’horizontal ou à la verticale, utiliser des fers à repasser de différentes largeurs, des grattoirs, des racloirs, etc. J’ai parfois besoin ici d’ajouter de la matière, là d’en prélever, si bien qu’au cours du travail, tous les gestes se mélangent. Je ne repasse pas toujours du premier coup la totalité de la surface mais parfois certaines parties seulement, les unes après les autres, afin d’apprécier les effets de déformation. Cela dépend aussi du format du tableau…

Si cette technique qualifie votre propre geste créatif, il semble bien que ce qui en fait la spécificité, c’est votre rapport à la matière – une matière remuée – et aux matériaux.

J’ai toujours entretenu à la matière une relation physique particulière. J’ai longtemps travaillé sur bois dans un geste d’une grande violence, de percussion et d’éclatement du support, comme si j’allais chercher dans les profondeurs de l’image peinte sa présence et sa vérité. Il était impossible de passer la main sur les tableaux tant leur surface était blessante. Par la suite, quand j’ai commencé à utiliser le fer à repasser, le fait de voir la matière se déformer sous l’effet de la chaleur me fait toujours penser à la façon dont un volcan répand sa lave, transformant le paysage dans ses fondements naturels.

Voulez-vous dire que votre démarche quête après une origine ?

Possiblement. En tous cas, cela pourrait faire le lien entre les différents motifs et les différents protocoles…

Que signifie alors pour vous de faire œuvre ?

C’est tenter une forme d’introspection dans la matière elle-même. Quand je vais à l’atelier le matin, je sais par avance que je vais être amené à me battre avec une matière et que ma journée sera bien remplie si je me suis bien battu. Cette sorte de bagarre qui repose en permanence sur le fait de réussir à composer un espace, à l’animer de figures, entre apparition et disparition, c’est encore plus important que le sujet lui-même. Le vrai plaisir se situe beaucoup plus dans ce rapport à l’atelier, dans la nécessité de cette lutte et la mise au monde d’une forme que dans ce que cette forme peut raconter.

La peinture relève de la maïeutique ?

Je le crois, absolument.  

Vous habitez dans la région de Nantes, à l’écart de la ville, une grande propriété qui inclut lieu de vie et atelier. A quoi correspond ce choix ? Quel rapport de temporalité entretenez-vous avec votre travail ? Travaillez-vous régulièrement ou par campagnes de peinture ? Une œuvre après l’autre ou plusieurs simultanément ?

Depuis que je me suis installé, dans la périphérie nantaise puis à la campagne, j’ai toujours eu un atelier dans le même espace que mon lieu d’habitation. J’ai un mal fou à m’échapper de l’atelier et, sauf déplacement professionnel ou privé, j’y suis quotidiennement. Cela dit, j’adore me promener au bord de la rivière ou dans les bois voisins, mais quel que soit le jour où nous sommes, il me faut aller à l’atelier à un moment donné. Je ne peux m’en passer. C’est une question de nécessité vitale. Comme le fait de respirer. Aussi, cela n’a guère été facile lorsque j’ai été pensionnaire à la Villa Medicis, à Rome, ou à la Fondation Josef Albers, à Bethany, aux USA ; je n’ai pu y faire que des esquisses. À l’atelier, j’ai toujours quelque chose en attente. C’est « mon » territoire…

Parce que c’est un lieu de retrait où vous vous retrouvez vous-même ?

En effet, mais ça relève aussi d’une sorte d’obsession. J’ai l’impression de n’avoir jamais fini ce que je fais, donc il me faut toujours aller voir, vérifier, corriger, etc. Les seuls moments où je prends mes distances avec le travail, c’est quand je pars en voyage pour le plaisir. Ce à quoi je m’applique régulièrement…

Vous décrochez alors réellement ?

Je ne pense plus du tout au travail. En revanche, je continue de filmer ou de photographier tout plein de choses mais sans aucune intention prospective. Je le fais de façon très détachée, intuitive, sans choisir tel ou tel motif.

Précisément, quelles sont vos sources d’inspiration ?

Pour l’essentiel, tout ce qui m’entoure quand je regarde autour de moi. Bien sûr, il peut y avoir quelques sujets qui sont d’un autre ordre, comme lorsque j’ai fait la série des Google ou celle des Foules. Ce sont alors des images que je capte à l’écran de mon ordinateur, en surfant sur Internet.

Philippe Cognée – Google Detroit – 2006 – 175 x 150

Qu’est-ce qui distingue ces motifs-là de ceux qui sont à portée de votre regard ?

Ils sont plus génériques d’une idée abstraite. En fait, à considérer le travail sur les quelques décennies traversées, je traite de plusieurs sortes de sujets. Certains sont plus ou moins intimistes, d’autres procèdent de ce que mon regard croise, selon que je me déplace en train, en voiture ou à pied, d’autres enfin sont directement liés au monde de l’atelier ou de la maison. Ce sont souvent des sujets sans importance mais qui m’offrent des éléments plastiques sur lesquels je peux m’appuyer pour expérimenter tel ou tel propos.

Comme les futuristes italiens, vous considérez qu’il n’y a pas de sujets nobles et de sujets « ignobles » ?

Pour s’en convaincre, si nécessaire, il suffit d’aller voir ce petit tableau peint par Edouard Manet, qui est au musée d’Orsay et qui représente une simple et unique asperge : un pur chef-d’œuvre ! L’artiste en avait fait une botte pour un collectionneur puis s’apercevant qu’il en manquait une, il a repris ses pinceaux et lui a envoyé le complément. Il n’y a pas de sujet qui ne soit pas pictural.

Au tournant des années 1990, vous êtes passé d’une iconographie marquée par votre enfance et votre adolescence en Afrique à celle d’un monde et d’un environnement contemporains. Qu’est-ce qui a gouverné ce choix ?

Cela correspond à une époque où j’ai commencé à prendre toutes sortes de photos de mon environnement immédiat. J’ai perçu qu’il y avait là, dans ces images captées, quelque chose d’autant plus intéressant que c’étaient des sujets triviaux qui n’étaient pas encore vraiment inscrits dans le champ de l’art : les entrées de ville avec leurs panneaux, les autoroutes, les barres d’immeubles, les objets de la vie domestique, etc. Bref, toutes ces choses auxquelles on est en permanence confronté et qui constituent notre paysage quotidien.

C’était une réflexion d’un ordre plus sociologique que proprement esthétique. Ce faisant, vous vous placiez en quasi reporter du monde existant. Est-ce parce que le réel est plus fort que l’imaginaire ?

C’est surtout parce que je ne voulais pas inventer d’histoire. Je ne voulais pas de narration dans le tableau. Je pensais que l’objectivité était suffisante. Un frigo, c’est un frigo ; un container, c’est un container ; une barre d’immeubles, c’est une barre d’immeubles : il n’y a pas de quoi y projeter son ego. C’est la pure et simple reproduction d’un objet qui, par cela même, devient autre chose…

Cela n’est pas sans rapport avec l’attitude de certains écrivains des années 1950-1960 qui ont défendu l’idée d’un « nouveau roman » prônant le rejet du point de vue subjectif au profit d’un « parti pris des choses ». Qu’est-ce donc qui vous retient tant par rapport à l’idée du narratif ?

Je me suis toujours méfié de ce que la narration introduisait l’anecdote. Si j’ai fait de nombreux portraits ou tableaux de figures, je n’ai jamais mis de personnages dans mes tableaux de paysages, qu’ils soient naturels ou urbains. Ils sont tous désertés de toute présence humaine comme si l’humanité avait abandonné tous ces lieux. Au fond, il y a dans ces peintures une sorte non pas de fin du monde mais de mélancolie…

Laquelle serait relative à la perte d’une identité individuelle au regard du monde actuel ?

D’une certaine façon, en effet. Mes tableaux de foules ne sont rien d’autre que des fourmilières, des ruches. Il y va du grouillement d’une humanité sans visage qui est directement liée à ces mégapoles renfermant des millions et des millions d’êtres. Mes tableaux faits à partir d’images de villes offrent à voir comme des grilles qui soulignent l’idée d’enfermement. Il y a tout à la fois quelque chose d’une fascination et d’une inquiétude face à toutes ces monstrueuses concentrations urbaines qui recouvrent la planète, semblables à ces parasites qui s’agglutinent sur les rochers jusqu’à en recouvrir toute la surface.

Vous travaillez souvent sur le mode de la série, parfois même de façon démesurée. Il en est notamment une que vous avez consacrée en 2003 au thème des Carcasses et qui compte quelques 36 peintures du même format. Il y en a une autre qui ne dénombre pas moins de 1001 éléments, constituée des images recouvrant en peinture les pages de catalogues de la foire Art Basel. Comment l’une et l’autre de ces deux séries sont-elles advenues ?

Si le thème des carcasses appartient à l’histoire de l’art – Rembrandt, Soutine, Bacon, etc. -, il est aussi présent au cinéma et son corrélat, les abattoirs, ne cesse d’avoir une actualité qui est allée de la vache folle à tous les débats sur le traitement des animaux. En Afrique, mais pas seulement, la viande fraîchement abattue est souvent suspendue aux étals des bouchers dans les marchés. C’est un sujet omniprésent, riche de symbole et de sens.

Philippe Cognée – Carcasses, un des 36 éléments de l’ensemble – 2003—70,5-x-47 – 2003 – 70,5-x-47

En quoi le motif de la carcasse vous intéressait-il à peindre ?

Une carcasse, c’est l’architecture d’un corps, ce sur quoi s’accroche la chair. J’ai toujours marqué une prédilection pour les sujets adossés à l’idée de structure et qui présentent une opposition très forte entre le clair et l’obscur. De plus, les os et la chair, le gras et les muscles donnent à voir de puissants effets de matière. Est arrivé un moment où j’ai voulu aller voir par moi-même des abattoirs pour vérifier qu’il y avait bien là un sujet qui pouvait m’intéresser. L’idée d’en faire une série visait à rendre compte du mouvement des carcasses qui sont suspendues sur des rails et défilent devant les bouchers au travail. J’ai alors imaginé en faire une sorte de panoramique, comme on construit un film par plan-séquence. L’idée était de présenter l’ensemble sous la forme d’une arène de sorte à placer le spectateur au centre.

Quid des pages du catalogue de Bâle ?

L’idée remonte à une époque ancienne où j’avais fait un travail de recouvrement de ces images publicitaires qui encombrent nos boîtes à lettres. Quand j’ai commencé à fréquenter la foire de Bâle et qu’elle me paraissait comme un immense supermarché dont le catalogue était devenu la bible de l’art contemporain, je n’ai pas pu résister à la tentation iconoclaste d’en déchirer les pages pour en faire le prétexte d’un travail. Je les ai tout d’abord recouvertes d’une sorte de gesso, puis je les ai repeintes en ne rendant visible que l’image des œuvres reproduites et les ai contrecollées sur alu pour leur donner une tension.

Cela s’apparente à l’exercice de la copie, non ?

Justement, il y avait aussi dans cette façon de faire le souvenir que j’avais de mon enfance où, en Afrique, pays de tradition orale, pour se souvenir de ce que l’on apprenait, il fallait sans cesse en faire une copie. En opérant de la sorte, non seulement je me réappropriais toutes ces images mais je les rendais anonymes. En même temps, il y avait ce jeu qui me plaisait de peindre d’après… D’après une peinture, une sculpture, une photographie une installation, etc. : une sorte de mise en abîme par la peinture de toutes les autres disciplines.

Ce qui est commun aux Carcasses et au projet de Bâle, c’est le soin d’une scénographie qui procure au regardeur le sentiment d’être immergé tout à la fois dans la peinture et dans les images.

L’idée, c’était de permettre à ceux qui avaient la charge de les présenter, de le faire en toute liberté, sans imposer un ordonnancement quelconque. Les Carcasses, je les ai installées de différentes façons : en cercle, en ligne, en ellipse, etc. C’est une œuvre à géométrie variable. Quant à lui, le projet de Bâle a connu deux formulations à ce jour : la première était une installation en forme de petite impasse dont les murs étaient recouverts des images en lignes superposées ; la seconde, les images étaient placées sur les faces extérieures d’une sorte de mastaba. Il sera présenté l’an prochain au musée Bourdelle, à Paris, de part et d’autre d’un labyrinthe suivant un cheminement linéaire d’une centaine de mètres.

Autant de façons qui soulignent une intention critique par rapport à l’alignement d’un produit de consommation…

Comme l’est la foire de Bâle d’une certaine façon ! Ce n’est pas une critique, mais une vision simplement objective. En fait, ce qui m’intéresse dans l’idée de la série, c’est la possibilité d’une présentation diversifiée. L’important, c’est que chaque fois on perçoive le travail différemment. C’est un jeu, en quelque sorte, et cela rend l’œuvre encore plus accessible.

Justement, selon vous, pourquoi l’art occupe-t-il une place si importante dans notre existence ?

Pour l’artiste, c’est qu’il est placé dans une situation où il lui faut toujours inventer quelque chose. C’est cela qui est intéressant dans l’art, la dimension de l’invention. L’artiste se doit d’innover, de proposer quelque chose de singulier. Il est donc totalement libre. Une œuvre ne meurt pas si elle est juste parce qu’elle conserve un potentiel d’irradiation qui ne cesse de la rendre attractive.

C’est quoi un chef-d’œuvre ?

Quelque chose qui nous bouleverse en permanence, qu’on croit avoir compris mais qui résiste à tout entendement. Qui nous tient en haleine parce qu’on n’en a jamais fait le tour. Quelque chose qui, après l’avoir vu, ne nous quitte plus jamais. Je me souviens avoir vu un jour, à Londres, un petit tableau qui, à distance, appelait irrésistiblement mon regard. Je me suis approché, c’était un Vermeer. Imparable !


Instagram 
Galerie Templon

J’ai longtemps travaillé sur bois dans un geste d’une grande violence, de percussion et d’éclatement du support, comme si j’allais chercher dans les profondeurs de l’image peinte sa présence et sa vérité.

Philippe Cognée