Portrait de Peter Stämpfli
Portrait de Peter Stämpfli

Peter Stämpfli

Peinture

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Peintre suisse majeur de la mouvance du Pop Art, Peter Stämpfli a toujours scruté le quotidien : notre environnent, nos objets, nos gestes. Pourtant, loin de se contenter de la simple apparence, son œuvre s’est attachée à révéler la profondeur et la force qu’elle recèle. Dès le début des années 60, l’artiste s’adonne à une œuvre d’inventaire de tous les détails répétitifs du quotidien, qu’il fixe méthodiquement sur fond blanc. Mais c’est le pneu, motif emblématique de notre société industrielle, qui va tout particulièrement attirer son attention jusqu’à en devenir son thème de prédilection. Depuis 1969 jusqu’à nos jours, il en offre d’innombrables variations. Entretien avec un artiste qui s’approprie son entourage dans une simplicité étonnante pour inventer ses propres icônes… un art absolument Pop.

Comment est né ce désir de peindre ?

Je suis né en suisse à Berne en 1937. Je voulais étudier le graphisme, je me suis donc inscrit dans une école d’arts appliqués à Bienne mais les professeurs m’ont fait comprendre que je n’étais pas à ma place. Deux ans plus tard, j’ai quitté cette école puis j’ai eu la chance de rencontrer un professeur de peinture. Cette rencontre m’a permis de commencer à peindre le soir pour moi-même, à travailler ce qui m’intéressait vraiment au lieu d’étudier le latin.

Plus précisément, comment avez-vous pris conscience de votre vocation de peintre ? Quel a été le déclic ?

En 1958, il eu une grande exposition à Bâle au Kunsthalle sur l’expressionnisme abstrait américain. C’était la première fois que cette tendance était montrée en Europe. J’ai eu un choc visuel, l’impression de ne plus pouvoir revenir en arrière. C’était comme si je percevais  une nouvelle dimension dans mes tableaux et que je n’avais jamais vu. J’ai donc fait mes valises et je suis venu m’installer à Paris. Je ne connaissais personne dans cette ville, mais l’enthousiasme que je portais pour ces artistes américains, notamment Pollock, Klein, Rothko et Newman, m’a poussé à acheter des rouleaux de toile. Je me suis défoulé en faisant du « sous Pollock » sur de grandes toiles d’un format de six mètres.

Au moment où cette tendance non figurative de la nouvelle École de Paris dominait, quel axe de recherche avez-vous suivi ?

À ce moment, l’abstraction lyrique était effectivement très présente à Paris. Après 1945, l’école de Paris n’était pas très inspirante à mes yeux. J’ai donc commencé à m’intéresser à ce qu’il se passait aux États-Unis et en Angleterre. Je me suis lancé dans cette aventure en cherchant à réintroduire la photographie dans la peinture. Dès 1963, le geste et les objets du quotidien étaient au centre mon attention tandis que la grande majorité des artistes s’inscrivaient dans le courant de l’abstraction lyrique.

Pourquoi avez-vous choisi l’objet quotidien comme thème de prédilection ?

Je voulais réintroduire l’objet et le geste qui composent notre environnement. Des objets d’une banalité totale : un téléphone, une machine à laver, un frigidaire… Je les ai isolé dans une sorte d’espace, toujours sur fond blanc, qui selon moi relève davantage de l’espace vide. Quand George Perec a écrit en 1980 la préface de mon exposition au centre Georges Pompidou, le titre de celle-ci était Alphabet pour Stampfli, c’est-à-dire un dictionnaire d’objets et de gestes quotidiens.

C’est ce qui me distingue de mes amis français aujourd’hui, je ne suis pas allé vers la narration, comme la figuration narrative qui est un courant proprement français, mais simplement vers une analyse de la structure, une analyse de notre vie.

Vous avez ensuite proposé d’innombrables variations sur le pneu automobile, votre sujet de prédilection. Qu’est-ce qu’il vous fascine dans l’exploration de ce motif ?

Je me suis effectivement rapproché du motif de la voiture, synonyme de la civilisation moderne et dans laquelle j’ai trouvé une certaine géométrie. D’une certaine façon, je suis un peintre géométrique même si je peignais des objets figuratifs. Cette géométrie, je l’ai appliqué dans les roues des voitures. J’ai braqué mon regard sur elles, comme le zoom d’un photographe. J’y ai pénétré en l’agrandissant toujours plus, jusqu’à ce que la roue devienne une quasi-abstraction.

En 1969, j’ai dessiné un tondo de deux mètres qui était une pure construction géométrique dessinée sur une toile. Elle était libérée des inspirations du clair-obscur et de la photographie qui m’inspiraient auparavant. De cette toile, j’ai simplement conservé la partie haute qui représentait le pneu en l’agrandissant. Le premier tableau de ce genre date de 1969. Cela fait donc cinquante ans que n’ai rien fait d’autre que peindre sur le thème du pneu, mais en explorant toutes ses variations. En 1970, j’ai été invité  à la Biennale de Paris pour réaliser de grands pneus de six mètres. Je suis ensuite passé à l’étape suivante en peignant sur un mur de trente mètres l’image d’un pneu de six mètres de long. J’ai utilisé la méthode traditionnelle : une huile sur toile appliquée sur un châssis découpé dans la forme du pneu et qui a laissé son empreinte sérigraphique sur le mur de trente mètres : l’objet et son négatif. Progressivement, j’ai pénétré davantage dans l’image du pneu en représentant seulement quelques millimètres agrandis sur six mètres, frôlant ainsi l’abstraction. Alors le pneu disparaît pour ne laisser que les structures, positives et négatives.

À l’inverse de vos confrères parisiens, partisans de la figuration narrative, vous êtes allé vers une figuration, sans pourtant y ajouter de narration, pour aller progressivement vers l’abstraction… Comment situez-vous votre œuvre entre figuration et abstraction ?

Aujourd’hui, le spectateur qui n’a pas suivi mon travail mais qui assiste à une de mes rétrospectives comprend d’où est partie mon aventure du motif quotidien à travers les objets d’usage et technologiques. Ces objets sont les symboles de notre civilisation, comme les voitures, qui m’ont mené jusqu’à une sorte d’abstraction qui n’est pas, comme le dit Bernard Vasseur, de la figuration inspirée par l’abstraction et réciproquement. Je ne me considère pas comme un peintre abstrait, ni comme un peintre figuratif. Cependant, mon objet est issu de la figuration et du dessin industriel.

Votre œuvre s’inscrit donc dans la mouvance du Pop Art… Comment définiriez-vous votre relation à ce mouvement ?

Au début des années 1960, j’ai fréquenté la galerie Sonnabend à Paris. Curieusement, il y a eu des similitudes avec des artistes comme Roy Lichtenstein. La revue Time and Life m’a appelé à cette époque pour me demander si je connaissais un tableau de Roy qui représentait une main de femme versant de la lessive dans une machine à laver, similaire au mien, et qu’il avait réalisé en 1962. J’ai répondu que non, mais j’avais utilisé ce même thème en 1963 alors que je ne le connaissais pas.

Suite à cela, je suis allé à New York voir Liechtenstein à Long Island. Je lui ai montré des catalogues et il a trouvé formidable qu’un jeune artiste suisse habitant à Paris puisse s’intéresser au même thème que les pop-artistes américains. Cependant, je pense que ma similitude au Pop-Art se dirige davantage vers son versant anglais, en raison de mon côté plus analytique. Bien que certains de mes tableaux ressemblent au pop-art américain, il y a une grande différence. Je n’ai jamais représenté Coca-Cola, je n’ai jamais mis en gloire une machine à laver, un téléphone ou une voiture. Pour ma part, il s’agit purement d’un constat.

Pour vous, qu’est-ce qu’un chef d’œuvre ?

Nous essayons tous d’être honnête et d’approcher une certaine vérité. Certains savent l’approcher de plus près. Il est possible de s’exprimer avec de multiples instruments et de se réaliser soi-même. Peut-être que quelque chose restera de l’expérience personnelle de chaque artiste. Je pense que le temps juge, qu’il est là pour questionner les choses, apprécier ou détruire.

Selon vous, pourquoi l’art est-il important dans nos vies ?

Parce que la vie sans art n’est pas la vie.

Chez Peter Stämpfli

Je voulais réintroduire l'objet et le geste qui composent environnement.

Peter Stämpfli