
Par Harry Kampianne
Olympe Racana-Weiler aurait pu être danseuse… sauf qu’elle est peintre, en totale harmonie avec ses feux d’artifice que sont ses couleurs. Forte d’une gestuelle caractéristique des grands moments de la peinture abstraite, entre « touché-moucheté » et « épaule et jeté », elle nous livre un ballet éclatant de ses émotions. Tourbillon aux antipodes de ses gravures sur bois sombres et austères derrière lesquelles transparaît d’étranges figures sorties des limbes de l’oubli. C’est dans ce cocktail d’incandescence et de mystère qu’elle puise sa propre symphonie de la vie. Un lyrisme qu’elle développe le plus souvent sur de grands formats sans se laisser submerger par la rigueur de la composition. Elle plie l’espace à son instinct. Figurant parmi les plasticiens (Jim Dine, Marlène Mocquet, Jan Fabre, Abdelkader Benchamma) ayant réalisé des œuvres pérennes dans l’enceinte de l’emblématique Hôtel Richer de Belleval, nous découvrons une artiste capable de réaliser, un mois durant, le Chant de la Sibylle. Une profonde immersion picturale sur les murs et plafond d’une salle entière. Mais pour penser et parler peinture avec cette jeune artiste de 33 ans, quoi de mieux que l’atelier, son « refuge » dit-elle.
D’où viens-tu Olympe ?
Enfant et adolescente, j’étais très liée à la danse, ce n’est que plus tard que j’ai décidé de transférer le mouvement du corps à la peinture. J’ai commencé d’abord à m’intéresser à ce qui se passe entre l’écriture et le geste et donc à la calligraphie, à la création de livres, à la gravure. Je me suis inscrite dans un atelier des Beaux-Arts de la ville de Paris, à Glacière exactement, pour préparer les concours aux grandes écoles. Je me suis immergée dans ce grand et nouvel espace lumineux en suivant les cours de Martin Bissière (ndlr : petit-fils de Roger Bissière, célèbre peintre abstrait de la nouvelle École de Paris). Moi qui avait l’habitude d’employer des petites surfaces, je me suis attaquée très vite à de grands formats en considérant la toile comme un miroir, une scène qui me permettait de vivre de manière fictionnelle mes émotions. Bien que c’était un atelier de peinture abstraite, la figure apparaissait pour moi naturellement sans que cela soit prémédité.
Quand tu parles de figure, a t-elle un lien avec ta mère décédée ?
Il est évident que de se plonger dans la plasticité et la matière peinture pour une jeune adulte de 18 ans qui vivait la souffrance, la maladie et la mort prochaine d’un être proche, pouvait avoir une connexion. Ce rapport du vécu au geste pictural m’a bouleversé. Je transposais mon réel sur la toile en une heure et après je devais partir pendant deux heures faire un tour parce que je vivais un véritable bouleversement affectif. Les mots sont durs à dire quand on a autant d’émotions. J’étais plutôt sauvage, et bien sûr dans une forme d’incompréhension qui s’instaurait avec mon entourage et mon professeur. Quand je suis arrivée devant le jury de l’école des Beaux-arts, ça été un échec total. Je ne voulais plus continuer à peindre. Je vivais encore la perte de ma mère et j’étais aussi terrorisée par le mode de sélection et les codes qu’il fallait endosser pour faire partie de cette académie. De plus, mon père, qui est argentin, n’avait pas forcément les réponses à toutes mes questions.
As-tu vécu en Argentine ?
Non pas vraiment. J’y suis allée une fois avec lui et j’y suis retournée seule à 20 ans pour connaître la famille. J’ai passé trois mois dans le nord-ouest argentin proche de la frontière bolivienne. C’est là où on trouve les vestiges des civilisations inca et pré inca, les ruines de Quilmes (cité archéologique inca) ou encore les momies de Salta (momies d’enfants). J’étais curieuse de voir que de nombreux dialectes étaient toujours pratiqués même s’ils ne sont plus étudiés à l’école.
Le fait de découvrir une autre culture liée à L’Amérique latine, a t-il eu une incidence réelle sur ta peinture ?
Oui bien sûr. Quand tu es dans le nord-ouest de l’Argentine, tu es en altitude et en même temps dans un désert de couleurs. Quand tu arrives à Purmamarca, tu te retrouves au pied de la chaîne de montagnes aux sept couleurs. C’est un véritable délire de pigments. Il y a des lieux insolites complètement incroyables comme la vallée de la Lune. Je me suis nourris de tout ça et d’autres voyages notamment à Cuba et en Camargue à Saintes-Maries- de-la-Mer. J’avais non seulement besoin de me détacher de mon histoire personnelle mais aussi d’élargir mon horizon, de rencontrer des artistes, d’avoir des échanges et quelque part de retrouver la foi dans la peinture. Lorsque j’ai fait ces voyages, je faisais de la photo et de la vidéo. J’avais encore un peu peur de la peinture. J’étais pas prête. J’ai commencé par l’intimité du dessin et j’ai vite compris par la suite que seule la mémoire active de mes émotions me permettrait vraiment de revenir à la peinture.
Tu t’es aussi nourrie de nombreuses techniques qui t’a permis de retrouver foi en elle ?
Lorsque j’étais dans la section Arts Plastiques à la Sorbonne, on nous apprenait très peu ce qu’était la peinture. On étudiait Kant, ce qui était passionnant en soi mais je me suis dis qu’il fallait que j’apprenne avec des artisans de quoi était faite l’image. Comment faire une gravure sur bois ? Comment préparer le papier ? Quelles sont les encres à utiliser ? Comment assimiler l’image à mon histoire personnelle ? J’ai vu comment travaillait Jim Dine. Comment cet artiste américain collaborait avec des céramistes, des imprimeurs et ne se contentait pas de rester dans sa zone de confort. Ce qui m’intéresse en réalité, c’est de continuer à apprendre. Depuis 2016, je travaille avec des imprimeurs en Autriche. Je viens de réaliser ma première sculpture en bronze en Suisse et j’ai participé à toutes les étapes de la réalisation en étroite collaboration avec les fondeurs. C’est en travaillant avec tous ces artisans que j’ai retrouvé la matière de la peinture.
Comment en es-tu arrivée à peindre l’une des salles de l’Hôtel Richer de Belleval à Montpellier ?
C’est sur une invitation de Numa Hambursin (ndlr : actuellement commissaire général de l’exposition Immortelle au MO.CO consacrée à la jeune peinture figurative française) et le soutien bienveillant de Richard Leydier (critique d’art et commissaire d’expositions), que j’ai pu présenter tout un pan de mon travail et de son évolution, et réaliser au cœur de cet hôtel cette fresque permanente Le Chant de la Sybille (ndlr : l’Antre de Sybille est une évocation de la fin des temps dans l’Antiquité mais aussi dans la liturgie médiévale). La chance m’a été donné de débuter avec de bonnes galeries notamment avec Eric Dupont à Paris. Quand tu es une jeune artiste, tu penses que la galerie, c’est le lien incontournable qui relie ton œuvre au monde extérieur. C’est important d’avoir des interlocuteurs qui suivent et soutiennent tes engagements sachant que pour moi le rapport à la peinture est avant tout spirituel.
Olympe-Racana-Weiler,-The-Road,-Diptyque,-2022,-230×300-cm,-technique-mixte-sur-lin,-©Harry-Kampianne
Olympe-Racana-Weiler,-Your-Face,-2022,-200×160-cm,-technique-mixte-sur-lin,-©Harry-Kampianne
Olympe-Racana-Weiler,-The-Fairies,-2023,-160×120-cm,-technique-mixte-sur-lin,-©Harry-Kampianne
Olympe-Racana-Weiler,-Running-about-the-house-2023,-160×120-cm,-technique-mixte-sur-lin-©Harry-Kampianne
Olympe-Racana-Weiler,-La-Sybille-versions-2-et-3,-2023,-280×130-cm-chacune,-bois-gravé,-sérigraphie-monotype-et-charbon-noir-sur-papier-Arches,-©Harry-Kampianne-LD
Olympe-Racana-Weiler,-vue-de-l’exposition-à-l’Hôtel-Richer-de-Belleval-à-Montpellier,-©Harry-Kampianne






Bien que absente de l’exposition Immortelle sur la jeune peinture figurative française, que penses-tu du constat de Numa Hambursin sur ce sujet ?
C’est un état des lieux sur une jeune génération de peintres pour lequel le lien avec le corps et la figure est majeur. On peut avoir des réserves sur la sélection des œuvres, l’oubli de certains et certaines mais c’est le risque dans ce genre d’événements. En tant que peintre abstraite, je n’ai pas véritablement de lien aussi fort avec la figure.
Pourtant, elle est bien présente, un peu tapie dans l’ombre, dans la plupart de tes dessins et de tes gravures sur bois ?
Cette présence de la figure est revenue graduellement pendant le confinement. Elle n’a pas de but à devenir narrative. Elle a plutôt vocation à être dans l’énigme et non à être enclaver dans une histoire.
Tu disais t’intéresser aussi à l’édition de livres d’artistes. Mais toi en tant que peintre, n’as-tu pas été tentée de travailler avec des écrivains ?
Oui. Ça remonte au lycée ce désir de lier l’image à des mots. J’avais un ami qui écrivait de la poésie et nous avons eu l’idée de faire dialoguer ses poèmes avec mes dessins. De cette collaboration, que je dirais amoureuse et non sexuel, est née un livre. En réalité, l’amour s’est déplacé sur une œuvre commune. Plus tard, j’ai travaillé avec une amie poète qui écrivait par dessus mes dessins. Il y avait des territoires qui se rencontraient. Ce genre de collaboration m’intéresse et me nourrit. La peinture n’est pas liée à un champ littéraire. Elle est liée à un espace pré natal. Alors que le dessin, c’est tout le contraire. Il est connecté à la mémoire comme la gravure l’est avec la ligne et l’écrit. Mes peintures sont les témoins d’étapes qui s’imposent à moi. Elles sont liées non pas à la mémoire mais à mes émotions. Et je ne veux surtout pas me fermer aux chemins de la vie.
Olympe-Racana-Weiler,-vue-d’atelier,-série-de-portraits-à-la-craie-noire,-©Harry-Kampianne
Olympe-Racana-Weiler,-vue-d’atelier
Olympe-Racana-Weiler,-atelier,-cahier-de-dessins-à-la-craie-noire,-©Harry-Kampianne


