Par Fanny Revault
Né en 1985, Neïl Beloufa vit et travaille à Paris.
Remarqué pour ses installations mêlant vidéo, sculpture et peinture, le trentenaire franco-algérien interroge nos usages, démonte les clichés, les propagandes, nos modes de communication et critique les concepts creux. Neïl Beloufa a produit une des expositions les plus vibrantes de l’année 2018, « L’ennemi de mon ennemi » au Palais de Tokyo, montrant les mécanismes contradictoires de notre société, dans un désordre salvateur. Un reflet de notre monde : que penser de l’ère de Google ? De l’état de notre environnement ? Comment construire avec ce réel sans cesse déconstruit ? L’artiste crée sans limite à l’image de notre monde qui se permet tout.
Quel est votre axe de recherche artistique ?
Mon travail en tant qu’artiste est de réfléchir sur la représentation du monde, d’être dans la société et en dehors, de créer des micros possibilités à l’intérieur de structures de représentations solides. C’est comme ouvrir des micros portes… Mon système de travail, ma mécanique est de jouer sur des choses assez simples, de prendre un système existant, un modèle de représentation, une idée très simple et de la pousser jusqu’à l’absurde ; jusqu’à ce qu’elle montre comment elle fonctionne pour créer une nouvelle relation au spectateur.
Construction – Déconstruction : recherchez-vous cette dichotomie constante dans votre art ?
On dit souvent que je déconstruis en construisant ce système là …
Personnellement, ce que j’apprécie est qu’il y ait une relation entre spectateur et l’objet que j’élabore en montrant explicitement que c’est artificiel, qu’une connivence s’installe. Globalement, je dis quelque chose d’artificiel mais je l’affirme quand même et cette relation par rapport à l’objet est ce qui constitue l’œuvre d’art.
Comment définiriez-vous le rôle de l’artiste dans nos sociétés actuelles ?
Je pense que nous sommes dans une période de ré-évaluation culturelle sur Terre. Cela signifie que toutes nos mécaniques, nos structures, qu’elles soient politiques ou non son dysfonctionnelles. Nous n’utilisons pas le bon vocabulaire. Je trouve que le rôle de l’artiste dans la société, son mythe, est erroné et néfaste dans la manière actuelle de le formuler. Nous avons pris un modèle qui voudrait que l’art soit une valeur de gauche, indépendante… Mais en réalité, c’est un modèle presque protestant de pratiques « hors la loi », mais qui sont tout de même comprises par elle, s’inscrivant dans son modèle, dans son cadre, et dans des histoires qui ne sont pas vraies. L’art est dépendant, servile. Nous sommes au service du pouvoir et à l’intérieur de cela, on essaie de trouver une manière de s’en sortir et de faire quelque chose de dysfonctionnel. Par cette soi-disant indépendance acquise au XXème siècle, nous avons lentement perdu notre rôle d’artiste dans la société où nous devions créer des images, les faire circuler, les représenter. Par une mécanique de « startup », de pensée libérale, nous nous isolons dans quelque chose d’étrange.
L’art est dépendant, servile. Nous sommes au service du pouvoir et à l’intérieur de cela, on essaie de trouver une manière de s’en sortir et de faire quelque chose de dysfonctionnel.
Une critique du monde de l’art…
En tant qu’artiste, on devient les « agents d’une globalisation » qui serait vertueuse… On va critiquer cette globalisation et nous sommes invités à le faire par les gens qui la font… C’est une espèce de boucle d’autocritique du système par lui-même : c’est l’académie.
Quelle est votre expérience artistique la plus marquante ?
L’exposition L’ennemi de mon ennemi au Palais de Tokyo était la pire et la meilleure de mes expériences. C’est comme si j’avais pris dix ans d’âge mental, ce qui était douloureux mais très intéressant. Ce n’était pas vraiment une exposition, pas vraiment de l’art non plus, mais quelque chose qui ne fonctionne pas dans les schémas que je dénonce. L’exposition en parlait et y créait des trous. Les gens ne savaient pas vraiment ce qu’ils regardaient, ce qui était très bien.
Pour vous, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?
C’est une image qui a résisté, qui sans raisons se met à construire une figure et à tenir plusieurs siècles. Il y a quelque chose au-delà des facteurs historiques et sociaux. Une belle œuvre d’art est une chose intemporelle qui fonctionne à n’importe quelle époque, dans n’importe quelle société même si formellement, il y a quelque chose qui passe à côté.
Il y a des gens qui croient en l’argent, en Dieu, au foot… Moi, je crois en l’art. J’ai l’impression que c’est quelque chose d’important, mais ce n’est qu’une croyance.
Selon vous, pourquoi l’art est important dans nos vies ?
C’est un système de croyances. Il y a des gens qui croient en l’argent, en Dieu, au foot… Moi, je crois en l’art. J’ai l’impression que c’est quelque chose d’important, mais ce n’est qu’une croyance. Rationnellement, je sais que ça ne l’est pas. Je ne suis pas sûr que le potentiel de transformation de la société par l’art soit vrai. Peut-être à très long terme, mais pas en temps réel où il est un outil de domination culturelle. Ce n’est pas un fait auquel j’adhère, bien que j’y crois profondément. Il y a cette espèce de jeu permanent qui me rend fou.
Neïl Beloufa
Neïl Beloufa
Neïl Beloufa – Moma
Neïl Beloufa
Neïl Beloufa
Neïl Beloufa – Palais de Tokyo
Neïl Beloufa – Palais de Tokyo






