Par Fanny Revault
Pionnier de l’art dit numérique, Miguel Chevalier utilise les technologies comme moyen d’expression artistique depuis 1978. Son œuvre expérimentale prend ses sources dans l’histoire de l’art dont il reformule les données essentielles. Questionnant l’immatérialité dans l’art, ainsi que les logiques induites par l’ordinateur, telles que l’hybridation, la générativité, l’interactivité et la mise en réseau, l’artiste développe des mondes virtuels. Ses univers immersifs et poétiques qu’il déploie à coups d’algorithmes dans des architectures grandioses sont une manière de penser le monde et les liens entre nature et artifice. Rencontre avec l’artiste engagé dans le cadre de l’exposition Artistes & Robots dont il est le directeur artistique.
Vous utilisez le numérique dans votre production artistique depuis les années 80. Comment vous est venue cette nécessité d’explorer un nouveau medium de l’art ?
J’utilise les technologies numériques depuis la fin des années 1970 pour explorer un territoire qui était plutôt vierge et ouvrait un champ des possibles. À chaque époque, on s’aperçoit que les artistes utilisent les moyens de leurs temps. Après les avant-gardes du XXème siècle qui ont été jusqu’à détruire la peinture avec le minimalisme, j’ai voulu explorer ces outils numériques plutôt que de reprendre la peinture et de dire moins bien ce que d’autres ont raconté de façon magistrale. Sans en faire son apologie, je voulais montrer qu’avec ce médium, nous pouvions développer une écriture à part entière et créer des univers émotionnels au même titre que la peinture et la photographie. Cependant, il reste encore beaucoup à faire…
Vous êtes le directeur artistique d’Artistes et Robots au Grand Palais, première exposition consacrée à l’alliance entre art et machine. Comment a émergé l’idée de cette exposition ?
J’ai ressenti la nécessité de cette exposition car je constatais que tous les festivals d’arts numériques étaient systématiquement cantonnés à un microcosme de spécialistes. Au Grand Palais, Jérôme Neutres avait cet esprit d’ouverture, ayant présenté des expositions autour de la vidéo et de l’art cinétique, comme Bill Viola et Dynamo. Je lui ai suggéré de convoquer des artistes utilisant l’univers algorithmique, la générativité, l’interactivité ou encore la robotique. Le projet de cette exposition a mûri durant quatre ans. Nous l’avons travaillé, affiné, puis Laurence Bertrand Dorléac a historicisé cette création contemporaine.
L’idée de l’exposition était de montrer comment cet art prend racine dès les années 1950.
Que souhaitez-vous montrer en exposant la création numérique dans toute sa diversité ?
L’idée de l’exposition était de montrer comment cet art prend racine dès les années 1950. Artistes et Robots ouvre sur la contemporanéité que l’on connaît, diverse et composée d’artistes français et internationaux et montre cette diversité des possibles, notamment par la générativité des œuvres qui ne tournent plus en boucle mais qui se transforment dans le rapport au temps, et enfin la notion d’immersion comme l’œuvre de Peter Kogler. Cette exposition est importante car elle exprime l’antériorité et l’historicité de cet art.
Une de vos œuvres, Extra Natural, un grand jardin virtuel présentée ici est une installation numérique générative et interative. Quelle intention exprime-t-elle ?
J’ai présenté cette œuvre dans la partie algorithmique de l’exposition. Pour composer ce jardin Extra Natural, j’ai imaginé des graines virtuelles comme un herbier composé d’environ cent graines. À l’image d’un paysagiste, je peux composer à partir de cet herbier un jardin de lumière. L’ordinateur manipule à l’infini une bibliothèque de formes que j’ai créé.
L’originalité réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une vidéo en boucle mais d’une œuvre qui évolue avec le temps. Si nous revenons dans deux heures, demain ou dans dix jours, nous verrons des variations dans la composition. Sa particularité réside aussi dans son interaction. Des capteurs détectent la présence et les mouvements des visiteurs. Selon le déplacement de leur corps, les plantes se courbes à droite ou à gauche. Le visiteur participe à l’œuvre et en devient acteur.
Toutes ces possibilités du réel et du virtuel font la richesse de cet outil et ouvrent sur l’intelligence artificielle.
Comment voyez-vous l’avenir de l’art numérique ?
C’est évidemment un art très jeune qui nécessite comme tout art de grandir. Aujourd’hui, l’ordinateur est omniprésent dans nos vies et de plus en plus d’artistes dans le monde commencent à explorer les potentialités de ces technologies. Cet art est extrêmement vaste car il y a la possibilité de créer non seulement des œuvres virtuelles et immersives, mais aussi des œuvres que je qualifierai de « post virtuelles », comme celle avec les imprimantes 3D de Hansmeyer. Elles nous situent entre matérialité et virtualité. Toutes ces possibilités du réel et du virtuel font la richesse de cet outil et ouvrent sur l’intelligence artificielle. Cela pose aussi des questions inquiétante liées au transhumanisme. Mais je pense que les technologies numériques, vaste et puissant médium, seront certainement l’art du XXI siècle.
Exposition Artistes & Robots – Grand Palais – Extra Natural – Miguel Chevalier – avril 2018
Exposition Artistes & Robots – Grand Palais – Extra Natural – Miguel Chevalier – avril 2018



Les technologies numériques, vaste et puissant médium, seront certainement l’art du XXI siècle.