
Par Harry Kampianne
Les compositions photographiques de Lara Micheli sont digne d’une aquarêveuse surfant sur l’écume des vagues. L’eau est son élément. Ce n’est pas pour rien que cette ancienne parisienne a décidé de poser ses « objectifs » et ses bagages en bordure Atlantique, à Biarritz exactement, ville mondialement connue des surfeurs à la recherche de la vague ultime. Elle vit son art comme une flottaison intime, comme une « anomalie cardiaque » d’où le nom de son exposition personnelle Extrasystoles. Dix-sept clichés en apesanteur accrochés sur les cimaises de la galerie le Salon H. Dix-sept portraits de famille, souffles au cœur encadrés de bienveillance.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Lara Micheli. J’ai 32 ans et je suis née à Genève. J’y ai passé une grande partie de mon enfance et de mon adolescence. Vers 19 ans, j’ai commencé à voyager toute seule en Australie, au Cambodge tout en prenant des photos. Il faut dire que j’ai commencé à m’intéresser à la photographie assez tôt en m’exerçant sur le Leica de mon père. De retour à Genève, j’ai entamé des études universitaires en relations internationales et j’ai vite compris que ce n’était pas ma voie. J’ai donc décidé de partir à Paris pour suivre des cours sur l’histoire de l’art, et particulièrement sur l’histoire de la photographie tout en pratiquant à côté. Plus tard, j’ai réussi à décrocher un stage à Artcurial (société de ventes aux enchères) au département photo. A la suite de ce stage en 2014, une amie m’a proposé de réaliser des polaroids pour une marque. C’est à partir de ce moment-là que j’ai découvert l’outil qui me convenait le mieux dans ma pratique de la photo.
Le polaroid a souvent été utilisé par de grands photographes. Je pensais à Sarah Moon…
Au départ, ça ne m’est pas venue à l’esprit. C’était juste une proposition spontanée d’une amie et je n’avais pas de pression et d’exigences. Au final, j’ai eu des retours positifs, ce qui pour moi fut une révélation en choisissant du coup de faire que du polaroid.
Quel est le déclic qui t’a fait tomber amoureuse du polaroid ?
C’est le fait qu’il y ait beaucoup de contraintes. Il y a peu de pouvoir sur ce genre d’appareil, il n’y pas de rattrapage ou très peu. La pellicule coûte chère pour huit images seulement, ça paraît ludique et facile d’utilisation mais c’est tout de même très capricieux quand tu ne connais pas trop la technique. Il y a beaucoup de photos ratées au début. L’apprentissage est assez frustrant et coûteux. C’est par le biais de commandes pour la mode ou la publicité que j’ai pu affiner cette technique vu que l’on me fournissait les pellicules.
Parlons de ton exposition personnelle. Peux-tu m’en dire un peu plus sur ce titre Extrasystoles ?
C’est une anomalie ou plutôt une arythmie cardiaque et j’en ai moi-même souffert. Quand on a un cœur en bonne santé, on en souffre pas réellement. Personnellement lorsque cela m’arrivait, surtout en position allongée, j’avais l’impression que mon cœur ne faisait pas son travail. C’est une sensation très forte car il y a un battement de retard, et que pour rattraper ce retard, le cœur est obligé d’envoyer plus de sang et d’oxygène. C’est vraiment un moment suspendu où on ne pense à rien, où l’on attend ce battement qui tarde à venir.

Quel est le rapport avec ton exposition ?
Quand j’ai commencé à faire cette série, j’étais dans une période de doute et d’angoisse avec ce problème d’arythmie. Peu de temps après, il y eu le Covid et les confinements successifs, et c’est lors de cette période que la plupart des photos qui sont exposés aujourd’hui ont été réalisés. J’étais donc contrainte à les faire en intérieur, très différent de ce que je faisais avant. Ce sont des proches de ma famille que j’ai fait poser et diriger, ce qui était une grande première pour moi. Je voulais ce côté en suspension, de flottaison…. avec le polaroid, il faut être le plus stable possible. On retient son souffle le temps de presser sur le déclencheur pour ensuite voir l’image prendre forme progressivement.
Peut-on y voir un lien diffus avec le flottement que l’on retrouve dans la plupart de tes photos ?
Sans doute. Néanmoins, le titre de cette exposition est venu bien plus tard après concertation avec la galerie.
Est-il possible de faire un rapprochement spirituel et religieux avec ton travail et cet instant suspendu auquel tu nous invites ?
Je ne sais pas mais je suis croyante et protestante, mon mari étant catholique. Je pense que dans toute création artistique, il y a un rapport à la vie et à la mort. Nous sommes contraints de l’accepter.
L’eau est très prégnante dans les photos que tu exposes. L’est-elle dans tout ton travail ?
C’est vrai. Mais c’est assez inconscient. Le fait d’en parler, je m’aperçois que c’est un phénomène récurrent. Je n’ai pas creusé vraiment la symbolique mais j’admets que je me sens bien quand l’eau et une frontière ne sont pas loin de moi. Habiter à Biarritz tout en étant proche de la frontière espagnole me convient parfaitement.

Qu’est-ce que t’a apporté l’histoire de l’art dans ton travail ?
Dans un premier temps, c’était plutôt dans l’ordre d’un intérêt culturel et en même temps quand tu vois tous les chefs d’œuvres qui ont été réalisés, on a envie de s’écraser et de se dire que tout a été dit, tout a été fait de façon magistrale et magnifique et que ce n’est même pas la peine d’essayer. En réalité dans un premier temps, on regarde, on se tait et on enregistre. Ensuite, il faut le temps de digérer toute cette matière, le cerveau fait le tri pour ne conserver que ce qui nous touche le plus. Le fait d’être éloigné de Paris, d’être moins envahi d’images et de propositions, permet peut-être de mieux cibler nos intérêts.
À partir de quel moment, tu t’es dit – je suis une photographe – ?
Alors là ! Je me le dis toujours pas. Je travaille encore dessus. On peut penser que l’on souhaite pratiquer son art en essayant de se donner les moyens. Mais les questions qui reviennent le plus souvent, c’est de savoir si mon travail est viable dans la durée, est-ce qu’il peut me permettre de décrocher des commandes, d’alimenter mes projets personnels et en finalité apporter mon regard d’une époque et ma petite pierre à cet immense édifice qu’est l’histoire de l’art. Je pense que l’on peut répondre à ta question, à partir de l’instant où l’on montre son travail et qu’en face de nous il y a un dialogue qui s’enclenche. Je ne tiens pas pour autant la photo comme vérité ou témoignage d’une réalité absolue. La photo se vit pour moi dans l’immédiateté d’un instant ou d’une émotion. C’est la vision d’une personne, elle ne peut pas être objective.
Envisages-tu de continuer ce travail sur l’eau, la flottaison, sur cet esprit d’apesanteur qui nous font penser à des corps qui s’élèvent vers l’au-delà ?
Possible car cette trame est toujours là mais sera-t-elle aussi palpable ? On verra.
