Portrait de Jennifer Flay
Portrait de Jennifer Flay

Jennifer Flay

Curateurs

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Elle est devenue ces vingt dernières années l’une des personnalités les plus influentes de la scène artistique et culturelle hexagonale. À la direction de la FIAC depuis 2003, cette ancienne galeriste d’origine néo-zélandaise naturalisée française a su redynamiser l’image de la Foire internationale d’art contemporain. Ce principal rendez-vous de la capitale parisienne, centre névralgique pour le monde de l’art aux quatre coins du globe et précieux sésame pour les jeunes galeries, s’est hissé dans le puissant trio de tête, aux côtés d’Art Basel et de Frieze Art Fair. Après une année blanche en 2020 due à la crise sanitaire, l’événement annuel a enfin inauguré sa vitrine numérique au début du mois de mars. FIAC Online Viewing Rooms (OVR) a remporté les faveurs du secteur, réunissant 212 exposants issus de 28 pays, 5 curateurs invités et 7 institutions partenaires, avec près de 2 000 œuvres présentées. Moment idoine pour une rencontre exclusive, passionnante et très instructive avec Jennifer Flay autour de son parcours inspirant, de cette force qu’elle a de rassembler, du rôle des foires, du marché de l’art face aux crises et des prochaines éditions qui vont désormais faire cohabiter le réel et le virtuel.

FIAC Online Viewing Rooms a été une réussite. Crise sanitaire oblige mais à l’ère du tout-numérique, était-il grand temps de passer à la digitalisation ?

La crise a effectivement précipité le développement des plateformes digitales des foires d’art en général, et également de FIAC Online Viewing Rooms. Début février 2020, Art Basel Hong Kong a été la première foire d’art à annuler l’événement prévu en mars. Rapidement il est devenu clair que nous aurions, en toute vraisemblance, peu de chances de tenir nos manifestations. Il était alors primordial de proposer aux exposants une autre manière d’atteindre leur clientèle et potentiellement de créer un nouveau public, tandis que le confinement empêchait les rencontres physiques entre les personnes et avec les œuvres d’art.

Une plateforme digitale est forcément un développement et une création à part entière. Pour l’organisateur, ce n’est pas le même type d’investissement que lors d’une foire physique, ni le même business model. Pour les exposants, les retours sur investissement sont difficiles à estimer dans ce format relativement récent, peu rodé et encore peu expérimenté malgré la profusion de plateformes plus ou moins abouties qui ont vu le jour en 2020.

Nous avons de notre côté opté pour le fait de prendre le temps nécessaire pour identifier un développeur partenaire, pour analyser et évaluer les caractéristiques d’autres foires et échanger avec nos exposants sur leurs impressions, expériences et attentes.

Comment avez-vous justement pensé le site, créé en collaboration avec Artlogic, leader en technologie digitale pour le monde de l’art, pour vous distinguer des autres foires ? Chaque galerie proposait 5 ou 10 œuvres offrant une vue in situ à l’échelle avec l’option View on a Wall sous la verrière du Grand Palais.

Oui et ce n’est pas anecdotique. Nous souhaitions que les visiteurs de notre OVR se sentent tout de suite dans une ambiance « FIAC » par son environnement visuel. La plateforme était investie de plein de petits détails évocateurs. La ferronnerie art nouveau verte, très distinctive de la coupole du Grand Palais, dans les View on a Wall bien sûr– mais aussi tous les aspects de notre identité visuelle conçue en 2005 par les graphistes M/M qui nous accompagnent depuis. Elle est composée d’éléments qui s’articulent ensemble : un logo instamment reconnaissable, une police de caractères dédiée, un code couleurs et une iconographie insolite, en apparence hétéroclite et constamment renouvelée. Beaucoup de visiteurs y ont relevé également ce qu’ils décrivent comme une esthétique particulière et une forme d’élégance qu’ils associent à la FIAC.

La page Galeries s’ouvrait sur une liste alphabétique des exposants identique à celle que nous publions au moment de la foire physique. Cette liste rendait possible une forme d’égalité. Pas de premier ni de second étage, pas de salon d’honneur ni de grands stands dans le cœur de la Nef. Chaque galerie était présente de manière équivalente et accessible de la même manière en quelques clics. Quand on glissait le curseur sur chaque nom de galerie sur la liste, la devanture ou l’espace physique de la galerie apparaissait ; un véritable tour du monde des galeries, très réjouissant en ces temps de privation de voyages. Émouvant aussi.

Nous souhaitions que notre plateforme soit généreuse pour les galeries. Elles pouvaient proposer des œuvres à un tarif relativement modeste : 5 œuvres pour 500 € et 10 œuvres pour 1000 €. Chaque œuvre pouvait être représentée via de multiples visuels et une vidéo, selon la volonté des exposants. Elles pouvaient réaccrocher leurs stands virtuels autant de fois qu’elles le souhaitaient comme elles y sont autorisées également lors de la foire physique.

Esther Schipper a par exemple montré une sculpture en glace de Philippe Parreno sous tous les angles et à toutes les étapes de sa disparition. Une expérience complète, sur une grande amplitude temporelle, qui n’aurait pas été possible dans un espace physique, sauf à y rester jour et nuit. L’une des performances sonores filmées de Hanne Lippard, « 101 misspellings of Cappuccino » faisant appel à la narration, la répétition, la frustration et la durée, était présentée chez Lambda Lambda Lambda ; une expérience captivante et drôle qui se prêtait idéalement au format digital. D’autres artistes tels que Mario Garcia-Torres chez Neugerriemschneider ont présenté un projet pensé pendant l’épidémie, et révélé lors de FIAC Online Viewing Rooms ; des œuvres plastiques réalisées au Mexique pendant l’épidémie et « montrées » dans un musée et une galerie fermés en raison de la crise sanitaire ; un statement d’intention et une méditation esthétique et philosophique sous forme de lettre adressée à Robert Irwin ainsi que des moments de rencontre avec l’artiste et des discussions avec d’autres intervenants sur Zoom.

L’une des fonctionnalités innovantes de la plateforme était la « Rencontre fortuite », un bouton cliquable qui proposait une sélection d’œuvres générée de manière aléatoire par un algorithme : une expérience que l’on pouvait renouveler à volonté. Cette fonction visait à créer un effet de surprise et d’inattendu ; la sensation de ces découvertes hasardeuses, si merveilleuses quand on visite une exposition ou une foire.

Dans les critères de recherche, il était en effet possible de sélectionner les œuvres par galeries, année, pays, dimensions et par prix, allant de moins de 1000 € à plus d’1 million €. Un acte inédit pour le public. Était-ce une nécessité de briser les tabous ?

Cela faisait partie de notre volonté. Il est vrai que le fait d’afficher les prix est une pratique qui va à l’encontre des normes dans le monde des galeries. Et pas qu’en France. Dans les foires d’art ou dans les expositions en galerie, on ne voit jamais les étiquettes de prix à côté des œuvres, il faut les demander. Cependant, pour qui voudrait se porter acquéreur d’une œuvre, c’est une dimension réelle. Davantage de transparence désinhibe les visiteurs et va dans le sens de la démystification. Il y a toujours ce moment fatidique dans les galeries, où vous devez demander le prix d’une œuvre, si vous en avez le courage. Et quand il vous est communiqué, vous prenez conscience que c’est au-dessus de vos moyens.

Rendre cette information accessible sur le site traduisait notre volonté de lever un coin du voile sur le marché de l’art, de démontrer qu’il était possible d’acquérir une œuvre même avec un budget restreint. À moins de 1000 €, il est possible de trouver des œuvres originales ainsi que des éditions de très grande qualité. Certains exposants nous rapportent avoir vendu à des personnes qui effectuaient leur première acquisition, tel l’exemple cité par l’éditeur lillois Sylvain Courbois d’un jeune couple, arrivé par hasard sur la plateforme de la FIAC grâce à un sujet qui lui a été consacré dans une émission télévisée. Le format numérique se prête parfaitement à la publication de cette information et le paysage digital a ce potentiel incroyable de briser les tabous, comme vous le dites, et d’ouvrir le champ à des non-initiés qui pensent ce milieu fermé.

Fort heureusement l’art ne s’appréhende pas d’emblée à travers son prix de vente. Donc, aussi important qu’il fut d’afficher les prix sur la plateforme, tout aussi nécessaire était-il que le visiteur puisse les cacher. Cette possibilité était également proposée. Et il est intéressant de noter que le filtre « masquer les prix » a été très largement utilisé par le public.

Avez-vous justement élargi l’offre des galeries via le digital ?

Nous encourageons toujours nos exposants à exposer les œuvres qu’ils ont envie de mettre en avant, sans chercher à répondre à un format quelconque. Ainsi Andrehn Schiptjecko a-t-il choisi de présenter de grandes installations extérieures in situ. Afin de représenter une large gamme d’œuvres, et aussi pour des raisons d’accessibilité de l’offre, depuis que je suis à la direction de la FIAC, il y a toujours eu des œuvres exposées par des éditeurs d’art et de jeunes galeries présentant de jeunes artistes à des prix abordables. La galerie parisienne Exo Exo travaille avec des artistes émergents, contemporains des galeristes comme cela est souvent le cas. Une œuvre majeure d’un artiste émergent peut être acquise pour un prix aux alentours de 2000 €.

Exo Exo a qualifié FIAC OVR de « tournant » car cela lui a permis de rencontrer une nouvelle audience et placer les œuvres de ses artistes dans des collections auxquelles la galerie n’aurait pas eu accès autrement. La même chose est vraie pour Robbie Fitzpatrick ou High Art. Même pour des galeries de renom dans un marché de niche comme Christian Berst, spécialisée dans l’art brut contemporain et actuel, cette première édition a représenté une ouverture vers une audience internationale bien plus large. Nous avons souhaité puiser dans tout le potentiel du digital pour élargir le public des galeries en cette période de crise.

La vocation des foires est effectivement de créer de nouvelles connexions, d’élargir la cible, d’attirer les collectionneurs, les personnalités influentes, les adeptes des expositions virtuelles et des plateformes de vente en ligne. Peut-on considérer ce tournant comme une nouvelle ruée vers l’art ?

Il est vrai qu’à travers les plateformes digitales, l’audience de l’art est potentiellement démultipliée, géographiquement, démographiquement et sociologiquement, qu’il s’agisse d’amateurs ou de potentiels acheteurs. De manière générale, je ne décrirais pas cette appétence comme une ruée. Dans cette expression, il y a quelque chose de frénétique et d’inconsidéré, qui ne me semble pas adapté pour traduire les motivations profondes et sincères de ces nouveaux publics.

Encore récemment la création contemporaine évoluait souvent en cercle réduit, peinant à trouver une audience parmi ses contemporains, souffrant d’une latence dans l’acceptation parfois de quelques décennies. Depuis les années 90, les nouvelles technologies ont rendu très largement accessible, quasiment en temps réel, une quantité phénoménale d’informations, parmi lesquelles toute la production créative de nos contemporains. À mon sens, c’est la révolution numérique qui a créé les fondations d’une nouvelle et très large appétence pour la création contemporaine, en réduisant la latence entre la création d’une œuvre et sa visibilité auprès des publics.

Pour autant, aussi puissantes que soient les possibilités offertes par le digital, je suis convaincue que l’expérience d’une œuvre d’art reste physique, sensuelle, sensorielle. Les plateformes sont une approche possible, un préalable aux vraies rencontres. Mais si les plateformes sont attractives, ergonomiques et simplifient la mise en contact avec les galeries, elles ouvrent considérablement l’accès à l’art et le marché.

Bien que cela puisse paraître galvaudé de nos jours, à la FIAC nous avons toujours eu cette volonté de « démocratiser » l’accès à l’art et à la culture, en développant depuis 2006 des sites hors les murs pour accueillir en accès libre et gratuit des œuvres dans l’espace public – le Jardin des Tuileries,  la place Vendôme, la Place de la Concorde, la jardin des Plantes pendant plusieurs années, l’Avenue Winston Churchill – ainsi que l’ouverture du Petit Palais où se déploient des œuvres contemporaines dans le musée au même titre que la collection permanente.

Avant d’être galeriste, j’étais assistante de galerie. Cumulées avec les années d’activité de ma galerie, cela représente plus de vingt ans de ma vie. À l’époque, les gens hésitaient à franchir le seuil d’une galerie et demandaient même si c’était payant. Ce comportement existe toujours. En revanche, surfer sur le net est un acte naturel et évident pour beaucoup. Sans doute, l’anonymat et l’absence de codes comportementaux sont un facteur facilitant. C’est ce potentiel de primo rencontres avec la création qu’il faut absolument stimuler, et puiser dans la capacité du digital à proposer des informations très complètes pour les amateurs désirant parfaire leurs connaissances.

Le nombre de foires physiques a aussi considérablement augmenté sur 20 ans. Selon Artnet News : « 60 foires en 2000, près de 300 en 2019 ». Comment l’expliquez-vous ?

Depuis la révolution numérique, la diffusion instantanée de la culture contemporaine et l’appétit qu’elle suscite ont conduit à un réel besoin pour de nombreuses communautés artistiques et culturelles à travers le monde de se retrouver autour d’un évènement collectif célébrant la création. Ce fut un moteur dans l’émergence des foires. Chaque métropole en a désormais une et je trouve cela très sain ; c’est l’expression du besoin d’une communauté.

Les foires digitales vont-elles prendre le pas sur cette prolifération ?

Ce n’est pas ce que nous enseigne l’année 2020. Avant la pandémie, on redoutait beaucoup le spectre du remplacement progressif par le digital. Un an plus tard, on est en droit de conclure que le tout-digital ne dominera pas le secteur de l’art. Les interdictions et empêchements que nous subissons en raison de la crise sanitaire ont écarté la piste de la substitution digitale en renforçant ce désir profond de voir des œuvres « en vrai ». Du fait de la fermeture des musées, les gens ont découvert la possibilité de se rendre dans les galeries, restées ouvertes en France à partir de la fin du premier confinement jusqu’au 18 mars dernier. Des images inédites de longues queues devant les galeries d’art ont été largement diffusées.

L’expérience digitale est un prolongement, un enrichissement complémentaire, un développement parallèle et non une fin en soi. De fait, je ne pense pas que les foires disparaitront. Elles reflètent le besoin d’une communauté de professionnels et d’amateurs de se retrouver autour d’une passion commune.

J’ai eu le plaisir de participer récemment à l’émission Le Temps du Débat sur France Culture avec Marion Papillon, la présidente du Comité Professionnel des Galeries d’Art, et la sociologue Nathalie Moureau, auteure de l’étude Le marché de lart contemporain [Éditions La Découverte, 2016]. Elle a décrit ce que de nombreuses galeries ressentaient dans la période pré-Covid comme un trop grand pouvoir des foires et la dépendance économique des galeries vis-à-vis de ces dernières, alors même qu’elles se disaient « prises en otage » et étranglées par les coûts de participation. Dans les années qui ont précédé la pandémie, un phénomène appelé « fair fatigue » (un trop-plein de foires conduisant à un sentiment d’oppression) s’est parallèlement développé chez les collectionneurs et amateurs comme chez les galeries. Or, à partir de ses recherches menées pendant la crise sanitaire, Nathalie Moureau affirme que la première chose que les galeries souhaitent, dès que le contexte sanitaire le permettra, est de pouvoir exposer à nouveau dans les foires. Cela vient appuyer ce que je ressens à travers nos échanges avec nos exposants.

Tracey Emin (The Heart has its reasons, 100 000 €), Sarah Lucas (China NUD 4, 200 000 €), Elmgreen & Dragset (When the City sleeps, 210 000 €), Georg Baselitz, (X-ray lila, 1 200 000 €)… Qu’est-ce qui fait le prix de l’œuvre ?

Le jeu de l’offre et de la demande. Prenons par exemple John Currin, un artiste que je connais très bien. Ma galerie le représentait en France dans les années 90. Il est aujourd’hui chez Gagosian. John Currin n’a jamais eu une production importante. Il travaille intensivement mais le processus de gestation et sa technique picturale sont très lents, et il est très exigeant. Moins d’une dizaine de tableaux sortent de l’atelier par an. Il a une vision unique, étrange et souvent troublante ; il y a une très forte intensité entre le regard du peintre et les sujets de ses tableaux. Il a une touche reconnaissable entre mille et c’est un coloriste remarquable. Légitimement, beaucoup d’intérêt s’est cristallisé autour de ses œuvres. Elles sont très rares, et donc très recherchées par de nombreux collectionneurs, prêts à s’inscrire sur une liste d’attente et patienter longtemps avant qu’une œuvre soit disponible, avec l’espoir que la galerie les désigne comme futurs acquéreurs.

Cette rareté fait monter les prix. En cela ce n’est pas différent d’un autre marché. Et comme dans d’autres marchés, il peut y avoir un phénomène de lassitude, de désamour pour le travail d’un artiste, considéré comme « passé de mode », « pas dans sa meilleure période », et donc moins convoité. Les côtes dégringolent. C’est très dur à vivre pour les artistes. Mais heureusement il est possible d’en revenir. Robert Longo, artiste phare des années 80 à New York, a eu un passage à vide dans les années 90 avant de revenir encore plus fort depuis les années 2000. Francesco Clemente est un autre bel exemple. Son œuvre est à nouveau très recherchée. Mais tous n’ont pas cette chance.

La galerie Hauser & Wirth a annoncé avoir conclu un chiffre d’affaires de plus de 5 millions de $. La toile Two Hippies de George Condo a été vendue 2,2 millions $ dès le premier jour. Quelles étaient vos attentes sur cette première édition digitale ?

Je suis surtout heureuse que la plupart des exposants aient pu travailler dans de bonnes conditions, même si tous n’ont pas fait « carton plein ». Je suis ravie d’apprendre qu’Exo Exo a passé une étape significative dans l’histoire de la galerie grâce à cette première édition ; que Martin Aboucaya ait trouvé le public attentif et engagé ; que Hervé Loevenbruck considère que « FIAC Online Viewing Rooms a « permis de réveiller un marché plutôt atone depuis début 2021 » en réalisant de belles ventes, entre autres une œuvre de Michel Parmentier à un collectionneur chinois, trustée du Guggenheim ; que Barbel Grässlin, Cécile Fakoury, Xavier Hufkens et Praz Delavallade ont bien travaillé, ou que Hauser & Wirth a vendu pour plus de 5 millions de $.

Notre ambition pour la foire physique est de permettre aux galeries et aux artistes de bien travailler. Il en va de même pour l’édition digitale. Mais comment savoir à l’avance si la plateforme allait générer des ventes ? D’autres expériences digitales ont été très déceptives. Et il serait erroné de laisser entendre que toutes les galeries ont uniformément bien vendues. La « OVR fatigue » a rapidement remplacé la « fair fatigue ».

Pour mettre toutes les chances de notre côté, notre département VIP s’est pleinement mobilisé pour sensibiliser nos différents publics en amont de l’événement. Les responsables de notre département VIP ont imaginé des formats innovants pour susciter l’intérêt des collectionneurs pendant l’événement. Sept visites privées ont été proposées via Zoom, avec des commissaires d’exposition, des collectionneurs et des conseillers, dont une en mandarin qui a réuni plus de 200 personnes. Les collectionneurs chinois semblent d’ailleurs avoir été très actifs. Je suis certaine que cette visite dédiée a facilité les contacts.

Nous avons également sollicité 5 commissaires d’exposition et conservateurs de musée d’envergure internationale pour qu’ils proposent une sélection d’œuvres présentées sur la plateforme. Ce programme, intitulé « Through the eyes of », a été très suivi, et largement salué par les galeries qui décrivent l’interêt qu’il a suscité chez leurs visiteurs. Naturellement les galeries avaient également communiqué avec leurs clients en amont sur les œuvres proposées à la vente, comme elles le font avant une foire physique. Certaines ventes étaient déjà bien amorcées avant la mise en ligne. Et les œuvres très recherchées se sont immédiatement vendues. La galerie Mariane Ibrahim, qui représente l’artiste ghanéen Amoako Boafo, dont les tableaux sont très prisés, a extrêmement très bien travaillé. Tout a été vendu. La galerie ouvre prochainement une espace Avenue Matignon, et se réjouit de rejoindre la scène de galeries parisiennes, jugée attractive et dynamique.

Nous nous employons à créer les meilleures conditions possibles de succès pour tous les exposants. Hauser & Wirth est l’une des plus grandes et importantes galeries au monde. Comme Emmanuel Perrotin ou Gagosian, White Cube, David Zwirner et Levy Gorvy – toutes installées également à Paris -, elle réalise régulièrement des ventes unitaires de plusieurs millions d’euros pendant la FIAC. Leur succès lors de la FIAC OVR n’est pas hors norme.

Mais les jeunes galeries ne sont pas en reste. Matthew Brown nous confirme avoir rencontré de nouveaux clients. En plus de nouveaux collectionneurs, Balice Hertling que la plateforme leur a permis de renouer avec d’importants collectionneurs locaux et internationaux. L’un des exposants, qui a eu le plus de visites pendant FIAC OVR, est We Do Not Work Alone, un excellent éditeur qui revisite des objets usuels créés par des artistes contemporains. On pouvait ainsi y acquérir une œuvre d’Alain Sechas « Bouchonchat » pour 50 € ou une lampe de Dorothy Iannone « Forever True » pour 4 000 €. Je suis tout aussi heureuse de savoir que des éditeurs et galeries émergentes ont vendu à des primo-collectionneurs ou que certaines grandes galeries ont « explosé les compteurs ».

Sur les trente dernières années, le monde de l’art a été touché par trois grandes crises : celle de 1990 où il s’est brutalement écroulé, celle des subprimes de 2008 et celle de 2020 via la pandémie de Covid-19. Selon vous, le marché va-t-il être profondément touché à terme ?

Mon sentiment est que si cela devait être le cas, ce serait déjà fait. Nous avions cette crainte au début de la pandémie mais le marché de l’art a résisté, bien qu’au ralenti. En plus des trois grandes crises que vous avez mentionnées, il y a eu également celle provoquée par le choc pétrolier au début des années 1970. Je ne l’ai pas vécu en direct mais Leo Castelli [grand marchand d’art décédé en 1999, ndlr] m’avait raconté que cette crise l’avait conduit à fermer sa galerie à Milan pour se concentrer sur celle à New York, en soulignant très joliment : « Une galerie, c’est une personne ».

En 1990, le marché s’est effectivement écroulé, mais les circonstances étaient bien différentes. Il s’agissait d’une crise de confiance d’envergure. La « valeur » de l’art en termes monétaire fut profondément remise en question, mais il y avait également une dimension morale à cette crise. Elle faisait suite à une explosion de spéculation et de sur-spéculation totalement « out of control ». C’était une crise interne et systémique qui a mis en exergue un marché malade duquel s’étaient déjà retirés la plupart des collectionneurs en raison de l’envol vertigineux des prix.

Juste avant le crash, il n’y avait guère que des marchands qui vendaient aux marchands, cela le temps d’un coup de fil, et avant même d’avoir eu le temps d’effectuer le virement pour l’acquisition. Cela a donné lieu à des séries de plus-values hallucinantes pour la même œuvre sur de très courtes périodes, mais ces transactions étaient déconnectées de la réalité du marché, et de sa base – les collectionneurs. Ce n’était pas viable. Quasiment du jour au lendemain, la folle machine s’est grippée, et la valeur des œuvres s’est effondrée. Aucune côte n’y a résisté. Le souvenir de cette période reste très présent chez les acteurs du marché aujourd’hui, car il fut très difficile de s’en relever. On disait d’ailleurs « Stay alive till ninety five ». Mais en 95 c’était pareil. Il a fallu attendre presqu’une décennie avant que le marché ne reprenne. Ce fut une véritable traversée du désert.

Avec la crise des subprimes en 2008, le marché a été gelé pendant un trimestre lors de la première phase de la crise, quand le monde redoutait un collapse total du système monétaire international. Tout était figé, paralysé. Passé ce premier moment, une fois le danger écarté grâce à l’intervention des gouvernements à travers le monde, les transactions ont recommencé car, à la différence de la crise de 90, la confiance des collectionneurs était restée intacte. Je ne parle pas de celle des hedge funders dont les motivations relevaient essentiellement de la spéculation. Ils avaient pris une place importante dans le marché dans certaines villes, mais avec la crise ils ont beaucoup perdu avec leurs autres placements. Cette crise a d’ailleurs été ressentie plus fortement ailleurs qu’en France en raison de la place relativement faible des acteurs des marchés financiers dans le marché de l’art en France. Celui-ci est traditionnellement plus « slow » et moins flamboyant en comparaison avec d’autres centres, mais il a bien résisté, et donc la FIAC aussi.

Quant à celle de 2020, elle est encore très différente dans sa nature. L’inquiétude s’est installée avec le premier confinement durant les quatre premiers mois, jusqu’à l’été, mais le marché a continué à tourner, bien qu’au ralenti. Cela reste malgré tout très difficile pour les galeries, notamment celles qui travaillent avec des artistes moins connus. D’où mon contentement sur les retombées positives pour certaines galeries émergentes ou de taille moyenne, celles que j’ai évoqué précédemment mais aussi Anne Barrault, Ellen de Bruijne, Klemm’s, Weiss Falk et d’autres encore.

L’appétence pour l’art a été renforcée par les privations de la crise sanitaire. Il faudra attendre le « new normal » et la reprise de l’activité économique pour voir s’il y a un effet sur le marché à terme.

À votre avis, l’art est-il une valeur refuge ?

J’ai toujours du mal avec cette expression que je n’aime pas vraiment. Cela signifie qu’on se réfugie dans les placements dans l’art car on ne croît plus aux produits financiers. Je pense que les vrais collectionneurs achètent de l’art car ils ont envie de vivre avec ces œuvres et qu’elles leur apportent quelque chose au quotidien : de la beauté, une forme de nourriture spirituelle. Je pense que c’est leur réelle motivation. Cela dit, l’art peut être un excellent « placement », mais il faut être très bien conseillé.

Retour en 2003. Vous prenez la direction de la FIAC que vous redynamisez avec brio, aidée trois ans plus tard par son retour sous la Nef du Grand Palais. Comment avez-vous relevé ce défi ?

Avec mon expérience et ma connaissance du monde des galeries, des attentes du marché et des aspirations des galeries et des artistes. Et une excellente équipe ! On ne fait jamais rien seul. Ce monde de galeries d’art, je l’ai vécu au quotidien pendant 23 ans avant de rejoindre la FIAC. Avec ma galerie, je m’étais moi-même retirée de la FIAC dès 1997 car elle n’était plus depuis longtemps une place de rassemblement des meilleurs acteurs du marché. Elle s’était étiolée progressivement jusqu’à devenir moribonde. La première urgence était de re-fédérer les galeries parisiennes et françaises qui avaient quitté progressivement la manifestation. Car une foire, c’est d’abord une communauté. Si cette dernière s’en désintéresse, c’est catastrophique. Il a donc fallu partir en pèlerinage pour les convaincre de revenir ; les sensibiliser à l’importance de se montrer solidaires d’une renaissance potentielle. Et parallèlement porter le message à l’étranger. Ce fut un travail de longue haleine.

Mes origines étrangères m’ont sans doute quelque peu aidée dans cet effort de reconstruction. Il y a un côté direct « to the point » dans les méthodes anglo-saxonnes, différent des codes français que j’ai appris à manier. L’anglais est la lingua franca dans le monde des galeries ; c’est plus facile de naviguer en la maîtrisant. Il fallait que cette foire retrouve son élan, et cela passait forcément par la qualité de ce qui était montré. Il a fallu prendre des décisions difficiles. Mais je n’ai jamais appartenu à aucune chapelle et ne me suis jamais sentie bridée. Ce qui m’a beaucoup aidé à avancer, c’était le respect des galeries du fait de mon travail au sein de ma propre galerie auparavant.

En me rejoignant en tant que commissaire général à la direction de la FIAC, Martin Bethenod m’a montré par son exemple toutes les subtilités de la diplomatie à la française, tout en apportant sa connaissance du secteur institutionnel. Nous formions alors un duo de choc. Sous fond d’un passé de désintérêt quasi-total des institutions culturelles et muséales parisiennes pour la FIAC, dans le cadre de la refonte de l’événement et dans le contexte du retour au Grand Palais, nous avions besoin d’un ralliement très large de tous les acteurs culturels et institutionnels autour de la FIAC. Un événement comme la FIAC doit rassembler toute la communauté artistique. En s’alliant aux institutions culturelles et aux musées parisiens, la puissance et l’excellence de l’infrastructure culturelle française était un incroyable atout pour assoir la légitimité de la FIAC à l’international et contribuer à redonner à Paris ses lettres de noblesse en tant que place forte du marché. C’est aussi une vitrine importante pour la France.

En 2006, avec le déménagement de la Porte de Versailles au Grand Palais qui rouvrait après une longue période de fermeture à partir de 1993, il a fallu opérer un changement de fond. Le Grand Palais était alors utilisable seulement au centre de la Nef. Nous ne pouvions y accueillir que 90 galeries, contre plus de 200 à la Porte de Versailles. Hormis la question de la réduction drastique des possibilités d’accueil de la FIAC et de la représentativité, 90 galeries n’était pas considéré à l’époque comme une masse critique suffisante. Ce sous-dimensionnement ne nous permettait pas de créer un événement d’une ampleur internationale. Un deuxième site était donc nécessaire. Avec la complicité d’Henri Loyrette, alors Président du Musée du Louvre, nous avons pu installer une structure temporaire dédiée dans la Cour carrée du Louvre. Elle accueillait environ 70 galeries. Dans le contexte de cette réorganisation, nous avons lancé nos programmes Hors les Murs dans le Jardin des Tuileries, lien naturel entre le musée du Louvre et le Grand Palais. Exposer des œuvres importantes dans l’espace public contribue à la connaissance de l’art mais aussi à la résonance de la FIAC. Cela permet également aux artistes d’accéder à des espaces exceptionnels.

Occuper la Hall 4 et le Hall 5A à la Porte de Versailles avec plus de 200 exposants et revenir dans le centre de Paris avec 160 exposants dans deux sites patrimoniaux séparés par le Jardin des Tuileries et la Place de la Concorde, ce n’est pas le même format ni le même modèle économique. Cela n’a pas non plus la même résonance. Nous avons perdu environ 30% de notre espace d’exposition, mais gagné le centre de Paris, la noblesse des espaces, l’adhésion de la communauté culturelle, le secteur public et le secteur privé, ainsi que de nouveaux exposants français et internationaux pour qui ces qualités avaient un attrait et faisaient sens.

Ce fut donc une refonte totale, tous azimuts, y compris au niveau de la qualité des cimaises et de l’éclairage. Mais j’étais très motivée à l’idée de redonner à la France la foire qu’elle méritait. Cela demeure mon objectif.

« Tree » de Paul McCarthy sur la Place Vendôme ou encore la femme-table et la femme-chaise en version noire de Bjarne Melgaard… les œuvres scandales servent-elles vraiment l’art contemporain et les foires ?

La volonté de montrer cette œuvre de Paul McCarthy ne relevait en rien de l’envie de créer un scandale. Nous avons été les premiers à être choqués par les réactions que l’œuvre a générées. Paul McCarthy présentait une exposition monographique à la Monnaie de Paris. Il semblait naturel que l’exposition soit accompagnée par une œuvre dans l’espace public. Cette sculpture gonflable vert-pomme de 17 mètres de haut, installée à côté de la colonne Vendôme, jouait précisément de son ambiguïté. Beaucoup n’y ont vu qu’un magnifique arbre de Noël. Il faut avoir un mauvais esprit pour n’y deviner qu’une insulte aux bonnes mœurs. La violence physique et matérielle dont elle a été victime est inacceptable. Si elle était restée plus longtemps, une discussion saine sur des sujets de fond aurait pu avoir lieu.

Ce serait une dérive dangereuse d’enlever à l’art le potentiel de troubler, de questionner, voire même de faire enrager. Suite à l’agression de l’artiste et au vandalisme de l’œuvre, le Premier Ministre a pris la parole pour défendre la liberté de création et d’expression. Je suis fière d’avoir montré cette œuvre et je reste très attristée et honteuse de la violence dont elle a fait l’objet, et que ce soit arrivé en France. Créer le buzz avec des œuvres dont l’unique but est de faire scandale n’a jamais été notre ambition à la FIAC.

L’historique des œuvres présentées sur la Place Vendôme lors de la FIAC est remarquable, comme celles de Jaume Plenza, Tadashi Kawamata, Dan Graham, Oscar Tuazon, Elmgreen & Dragset, Yayoi Kusama… Ce qui est advenu de la sculpture de Paul McCarthy relève du tragique mais elle est aussi devenue emblématique de la liberté de création.

D’où vous vient cet amour de l’art ?

J’ai l’impression qu’il a toujours été là, de manière étrange et mystérieuse. On m’a toujours conseillé de suivre mes rêves. Rien n’était « off limit ». Mes parents ont très vite perçu cette passion pour l’art. Je me rappelle mon enfance. Vers l’âge de neuf ou dix ans, avec mes camarades de classe, nous devions produire un projet libre sur un sujet de notre choix. J’avais choisi de faire un dossier sur l’œuvre de Picasso. J’ai eu la chance d’étudier l’Histoire de l’art au lycée dès 14 ans, comme matière principale, au même titre que les mathématiques.

En sautant quelques étapes à partir de l’école primaire, j’aurais pu aller à l’université à 16 ans. Mais je ne me sentais pas prête. J’ai donc passé un an à la fin de ma scolarité au lycée à me projeter des diapositives d’œuvres de toutes les périodes depuis la quattrocento, seule dans une salle de classe. Cette année-là, j’ai présenté le Concours général en Histoire de l’Art, Histoire, et littérature anglaise, avant de m’inscrire en Histoire de l’Art à l’Université, un choix qui est resté longtemps incompris au sein de ma famille, mais aussi par certains membres de la faculté qui préconisaient des études plus « prestigieuses ».

Enfant et adolescente, on estimait que j’étais douée pour la pratique artistique. Ma mère, décédée quelques semaines après mes 14 ans, avait exprimé le vœu que je sois artiste. Mais j’ai vite compris que ma contribution se ferait ailleurs, dans l’analyse.

Hormis Picasso, quels ont été vos chocs artistiques ?

(rire) J’étais très jeune pour Picasso, mais j’adorais aussi Matisse. L’exposition qui lui a été consacrée au Centre Pompidou entre les deux confinements, fut d’ailleurs un éblouissement total. J’ai une tendance à continuer à aimer ce qui m’a toujours plu et séduite.

Parmi les peintres, j’ai toujours aimé Ingres. Un de mes chocs esthétiques dans la période plus contemporaine est un tableau de Gerhard Richter, « Betty », découvert lors d’une exposition qui lui était dédiée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Il s’agit d’une femme tournée au trois quart vers l’arrière, dont la posture de la nuque, l’épaule et les bras évoque Ingres. Elle porte un chandail rouge et blanc à motif fleuri. La sensualité de la touche est extraordinaire. Je suis fascinée par ces motifs décoratifs « pattern », « all-over ». On les trouve également chez Matisse, et chez Ingres dans les étoffes. Le sculpteur américain Robert Gober fut un autre choc esthétique, les sinks, les drain-holes, les parties de corps humain désarticulées, troublants de réalisme. C’est cette collision du familier et de l’étrange qui trouble, qui dérange. L’œuvre de Charles Ray « Oh ! Charley, Charley, Charley… » vue à la Documenta de Kassel en 1992 m’a également profondément ébranlée.

L’œuvre de Dominique Gonzalez-Foerster continue aussi à m’habiter. Au moyen d’éléments de vocabulaire très épurés et d’une maîtrise de l’espace, de la couleur et de la lumière inouïe, elle capture des moments d’introspection, des émotions, l’esprit des lieux, des réminiscences. C’est une grande plasticienne qui a réalisé également de nombreux films puissants et poétiques. Karen Kilimnik, avec qui j’ai également travaillé, continue à me fasciner. Elle traduit son regard très singulier sur le monde à travers tableaux, dessins et installations. Ma rencontre avec ses installations fut un choc durable. Elle appréhende la manière d’occuper un espace de manière totalement inédite, à tel point qu’on la considère à l’origine d’un courant artistique appelé « Scatter » [art de l’éparpillement, ndlr].

Plus récemment, j’ai été saisie par les œuvres de David Douard, les tableaux de Marlène Mocquet, la récente exposition d’Oscar Murillo chez David Zwirner, ou encore celles de Jean-Luc Moulène que j’ai vues à l’automne dernier chez Chantal Crousel pendant le temps béni – mais pour le moment révolu –  de l’ouverture des galeries. Notamment chez Jean-Luc Moulène une pièce de dimension modeste, intitulée Equerres, réalisée à partir de deux équerres, d’une « simplicité » trompeuse ; une évidence très chargée qui encapsule tout…

Je suis aussi très sensible au travail de Claude Closky dont j’ai découvert le travail en 1990. C’est un artiste d’une influence considérable, un pionnier des œuvres digitales qui occupent une grande place dans son œuvre depuis longtemps. En 2000, il a présenté Yiyi dans ma galerie, la première exposition interactive « connectée » au monde. Il y a dévoilé une œuvre intitulée +1. Des internautes du monde entier pouvaient agir sur une grande projection sur l’un des murs de la galerie en cliquant sur +1 sur le site de l’artiste. L’œuvre a été montrée publiquement de nombreuses fois par la suite. Elle est toujours en ligne. Au dernier relevé, le compteur était à 1140253. Cette œuvre met en exergue les possibilités en réalité très limitées d’interactivité que nous réserve l’espace digital qui s’appuie sur un langage binaire. L’artiste investit également depuis toujours un champ que j’affectionne particulièrement, les éditions et les livres d’artiste. C’est d’ailleurs à travers un livre qu’il avait auto-édité en 5 exemplaires en 1990, Quinze ongles, cheveux, lignes, et qui traînait chez quelqu’un que j’ai découvert son œuvre. Il y a dans l’œuvre de Claude Closky une mise à plat et un questionnement fondamental des méthodes d’organisation du quotidien (le numérique, l’alphabétique, les mesures du temps…) et des codes qui sont communément admis. C’est déconcertant, perturbant et décalé, mais souvent aussi très drôle.

Aussi longtemps que je vivrai, Felix Gonzalez-Torres, décédé en 1996, restera sans aucun doute l’un de mes plus grands amours artistiques. L’homme et l’œuvre m’ont bouleversée. La première fois que j’ai vu l’une de ses œuvres, c’était dans une exposition collective dans une petite galerie de Chicago qui n’est pas restée ouverte très longtemps. Robin Lockett. C’était un stack (empilement) bleu pastel, bordé d’un bleu pastel plus soutenu, comme un faire-part de décès, mais « baby-blue ». De premier abord, la pièce avait l’aspect d’un bloc monolithique, tel un geste minimaliste, mais en s’approchant il se révélait être un empilement de grandes feuilles de papier. Le cartel que j’ai regardé – en faisant attention de mémoriser le nom de l’artiste – informait le visiteur qu’on pouvait en prélever une. Pour ce faire, il fallait se baisser, se mettre en position d’instabilité, donc de vulnérabilité… Sans le savoir à cet instant, je venais de toucher du bout des doigts, juste d’effleurer, l’océan de sens que l’œuvre livre par strates, comme un mille-feuilles.

Toutes ces découvertes sont des moments forts qui relèvent du miracle. C’est de la nourriture pour l’âme. Il sont constitutifs de la personne que vous êtes.

Selon vous, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?

Ce sont ces moments de perfection quand l’artiste distille sa pensée¸ son intention et sa pratique de la plus pure des manières. C’est le condensé de l’être qui crée et l’instant où il est au sommet de ses moyens. Une osmose parfaite qui est mystérieuse et magique. Invariablement, il y a un message d’ordre universel qui nous parle à nous tous en tant qu’être, et qui nous ébranle. Un moment de plénitude.

Qu’avez-vous prévu pour la 47e édition et comment souhaitez-vous faire cohabiter ces deux vitrines dans cette mue numérique ?

Nous occuperons le Grand Palais Ephémère sur le Champ de Mars et – dans son prolongement direct – un bâtiment attenant construit spécialement pour la FIAC et Paris Photo, la Galerie Eiffel. Dessiné par Jean-Michel Wilmotte, le Grand Palais Ephémère est un bâtiment exceptionnel. Il a pu voir le jour grâce à des exploits en ingénierie, d’une feuille de route qui privilégiait des solutions éco-responsables, et l’ambition des pouvoirs publics pour Paris. Nous espérons pouvoir y rassembler nos exposants des cinq continents autant qu’ils espèrent pouvoir nous y retrouver, pour enfin renouer avec ces grands moments d’effervescence. Nous ne connaissons pas encore les conditions qui seront les nôtres à l’automne, mais quoi qu’il en soit l’événement physique sera accompagné par notre deuxième OVR. La version digitale permettra en outre de compenser l’impact d’éventuelles contraintes géographiques. Ces deux lieux, ces deux places, online et physique, vont ainsi puissamment cohabiter.

Fiac
Fiac Online Viewing Rooms

Un événement comme la FIAC doit rassembler toute la communauté artistique. En s’alliant aux institutions culturelles et aux musées parisiens, la puissance et l’excellence de l’infrastructure culturelle française était un incroyable atout pour assoir la légitimité de la FIAC à l’international…

Jennifer Flay