Portrait de Irina Shark
Portrait de Irina Shark

Irina Shark

Sculpture

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Les sculptures d’Irina Shark se déploient dans une grande virtuosité, offrant un panel d’émotions remarquables. Figées au sommet d’un mouvement, les sculptures sont saisies dans l’émotion d’un cri, la singularité d’un visage, le geste d’un instant suspendu… Posant son regard acéré sur notre monde, son travail reflète son intériorité qui tente de comprendre et exprimer l’essence des choses, pour aller « vers la vérité »… Entretien avec la jeune sculpteur qui nous livre sa passion pour la sculpture, ses sources d’inspirations, la traditionnelle technique de ses réalisations jusqu’au bronze final.

Quel cheminement vous a conduit à la sculpture ?

Je suis un sculpteur autodidacte. J’ai soudainement commencé à sculpter tout en vivant à Hong Kong. J’avais juste envie de sculpter et j’ai donc commencé seule dans mon appartement. Il n’y avait pas d’écoles d’art où je pouvais apprendre les techniques que je voulais ou dont j’avais besoin, même si au tout début, ça ne m’a pas traversé l’esprit de suivre une formation théorique.

Je ne viens pas d’une famille d’artistes mais le fait d’avoir grandi en Russie nous expose à un grand nombre de types d’arts. Je dessinais et peignais beaucoup, et je faisais aussi beaucoup d’artisanat. Aussi loin que je me souvienne, la sculpture m’a toujours semblé être la forme d’art la plus noble et la plus fascinante, ainsi, qui soit totalement hors de portée et impossible à faire.

Vous vous qualifiez de sculpteur impressionniste et expressionniste. À la croisée de ces mouvements, comment définiriez-vous votre style ? L’intensité émotionnelle ?

L’impressionnisme est un mouvement artistique qui a émergé en réaction aux canons et à la rigidité du réalisme académique à la fin du XIXe siècle. C’est une tentative de décrire une « impression », un sentiment de présence de quelqu’un, de mouvements et de gestes, plutôt qu’une représentation réaliste. Même s’il est principalement utilisé pour la peinture, plusieurs sculpteurs sont également purement impressionnistes, comme Paolo Troubetzkoy et Medardo Rosso.

L’expressionnisme présente le monde uniquement dans une perspective subjective, déformant radicalement la réalité pour évoquer les humeurs et les idées et montrer la violence des émotions. Il s’agit d’une intensité expressive centrée sur le monde intérieur très personnel du créateur. Le meilleur exemple est « Le Cri » d’Edvard Munch, ainsi que des peintures de Van Gogh et Modigliani. En sculpture, c’est sans aucun doute l’œuvre de Bourdelle qui porte les meilleures marques d’expressionnisme.

Oscar Wilde dit : « Chaque portrait peint avec émotion est un portrait de l’artiste, pas celui du modèle. » En tant que sculpteur figuratif, j’essaie de créer une « distorsion » très personnelle pour montrer le monde à travers mes propres yeux. Mon travail reflète mon monde intérieur d’émotions et mes expériences émotionnelles. J’accentue les lignes et les formes pour exprimer l’état spirituel et émotionnel que je veux interpréter, dans une tentative d’aller vers la vérité et pas seulement vers la vérité de la surface.

Dans cette quête vers la Vérité… que souhaiteriez-vous révéler ?

C’est une question complexe. À chaque fois qu’on me pose cette question, je dois réfléchir à la façon d’expliquer en une minute ce qui m’a pris des années pour apprendre et comprendre. D’une certaine manière, mon travail révèle ce que j’avais l’intention de révéler. Pierre Soulage a dit : « La peinture ne transmet pas de sens, mais elle fait le sens ; elle ne communique pas. C’est avant tout une chose que nous aimons voir, que nous aimons fréquenter, origine et objet d’une dynamique de la sensibilité.  » C’est tellement vrai, non ?

Votre sujet est l’humain. Quelles sont les personnes qui vous inspirent ?

Des individus créatifs et travailleurs, peu importe les domaines artistiques, ceux qui ont une vision forte et qui croient fermement en ce qu’ils font. Je trouve l’inspiration chez des amis musiciens et danseurs classiques, ainsi que dans de grands artistes du passé.

Pourquoi votre choix s’est-il tourné vers le bronze ?

Le bronze est un matériau magnifique et l’attrait pour un sculpteur de pouvoir produire ses œuvres en bronze est immense. Le travail du bronze est une forme d’art ancienne enracinée depuis l’Antiquité qui s’est étendue jusqu’au Moyen Âge allant jusqu’à Rodin et aujourd’hui, en tant qu’artiste, je veux faire partie de sa continuation. Le bronze peut durer des milliers d’années et vieillit de manière magnifique, acquérant avec le temps une variété de finitions en raison des différences de patines et de la façon dont elles interagissent avec l’environnement. Pensez à l’incroyable patine naturelle du « Boxer au repos », qui a été enterré pendant des siècles.

Quelles sont les différentes étapes de réalisation ?

Je travaille de manière traditionnelle : modelage de l’original en argile, fabrication de moules, puis coulée de bronze à travers le processus « de cire perdue ». C’est un processus long et fascinant qui nécessite un certain travail physique, que je fais la plupart du temps. La coulée de bronze est réalisée dans une fonderie où le métal est chauffé à plus de 1200 degrés Celsius et coulé sous forme liquide, un moment unique et spectaculaire. Au cours des dernières étapes, je travaille directement sur le métal, faisant le ciselage et le polissage du métal pour donner à la pièce son aspect final.

À quel moment ressentez-vous l’instant de création ?

Je vis assez détachée de la réalité et suis très plongée dans la création. Dans mon esprit, il n’y a pas de séparation entre ce qui est une création et ce qui n’en est pas. Je contemple et observe pour toujours : les gens, leurs visages, leurs traits, leurs attitudes et leur nature. Tout est une inspiration pour des œuvres d’art potentielles. Je ne suis pas tellement intéressé par la « participation » réelle à la vie, mais plutôt par l’accumulation d’impressions que je garde en tête pour les travaux futurs. Quand je travaille, j’expérience la réalisation… juste la « fabrication » d’une pièce, mais le moment de la création se produit tout le temps.

Pour vous, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?

Un véritable chef-d’œuvre a quelque chose de complet et quelque chose d’absolu que nous trouvons frappant, qui nous émeut et même bouleverse notre monde. Pour Rodin, un chef-d’œuvre c’est « où l’on ne trouve plus aucun déchet…  inexpressif de forme, de lignes et de couleurs, mais où tout, absolument tout se résout dans la pensée et l’âme ». On ne peut pas l’exprimer mieux que ça.

Pourquoi l’art est important dans nos vies ?

L’art est une coloration émotionnelle de la réalité incolore dans laquelle nous vivons. Sans imagination, sans création, les choses ne sont que des choses, rien n’a de sens. L’art est une contemplation. Sans elle, il n’y a rien pour nous faire rêver, rien pour nous transporter.

À un niveau très basique, l’art lui-même n’est pas vraiment important. Il y a tellement de choses qui sont plus importantes que l’art. Mais si vous combinez la peinture, la sculpture, la littérature, la danse, la musique, le cinéma, la photographie, l’architecture et toutes les autres disciplines et activités qui peuvent être considérées comme de l’art, leur influence est si vaste et leur valeur si grande, qu’il est impensable d’imaginer notre monde sans eux.

L'art est une coloration émotionnelle de la réalité incolore dans laquelle nous vivons. Sans imagination, sans création, les choses ne sont que des choses, rien n'a de sens. L'art est une contemplation.

Irina Shark