Portrait de Hervé di Rosa
Portrait de Hervé di Rosa

Hervé di Rosa

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Tout un monde ! Et celui de Hervé di Rosa est plutôt déjanté, loufoque et porteur d’une joie communicative. « Diromythologie », « Diroapocalypse », « Dirosaland »… Ces noms sont des promesses d’histoires qu’il nous raconte depuis plus de 40 ans, dans lesquelles ses personnages inventés grouillent : les Renés, l’Homme canon, Monsieur Tube, La femme à la tête plate… Hervé di Rosa est le fruit d’une époque qu’il façonne, celle où les codes de la BD innervent la pop culture, où l’art classique est le fondement de la création contemporaine. Boulimique de travail et grand curieux, il a fait plusieurs fois le tour du monde pour apprendre des techniques artistiques au sens large, et pour aujourd’hui se poser dans ses ateliers à Paris et à Lisbonne. Peut-être pour faire le tri entre tous ses démons…

Il est impossible de vous définir par le prisme d’une technique, mais en même temps, vous jouez un peu au chat et à la souris avec la peinture car pendant un moment, vous disiez que vous n’êtes pas peintre mais que vous faites de la BD, ensuite que vous ne faites pas de la peinture mais des surfaces peintes ? Alors ?

Maintenant, je parle d’images peintes. J’ai toujours des scrupules à dire « peintures », car pour moi, la peinture s’arrête au XIXe siècle, après, ce sont plutôt des images. Ce qui n’empêche que mes images sont influencées par la peinture qui reste la racine de mon travail, et même du MIAM à Sète.

On s’aperçoit que la peinture est le médium le plus démocratique qui soit, tout le monde en Occident identifie une œuvre faite d’un morceau de toile et de 4 morceaux de bois. Lorsque j’ai commencé à 17 ans, j’étais punk, et j’ai choisi les matériaux les plus basiques comme les punks l’ont fait pour la musique : on n’avait pas besoin d’être des grands techniciens pour dire ce qu’on avait à dire. Mes premières peintures sont en filiation directe avec cet état d’esprit. Les choses se complexifient après 1982-1983.

Au début des années 1980, il y a la Figuration libre (1981-1982) avec Robert Combas, François Boisrond et Rémi Blanchard, le groupe et l’émulation, mais l’aventure s’arrête très vite pour redevenir solitaire. Pourquoi ?

Oui, nous étions des individualités avant tout. Robert et moi, nous étions tous les deux de Sète. Je suis allé ensuite aux Arts déco et il m’a rejoint. François Boisrond a été mon premier ami aux Arts déco, puis nous avons rencontré Rémi Blanchard avec Bernard Lamarche-Vadel. Ce n’était pas vraiment un groupe en tant que tel, plutôt le fruit de rencontres. Hervé Perdriolle nous soutenait, mais il n’y avait pas un Pierre Restany comme pour les Nouveaux réalistes ou un Gérald Gassiot-Talabot comme pour la Figuration narrative. Il faut dire que nous refusions ça aussi. Étant donné que nous étions tous des individualités, chacun a vite voulu faire ce qu’il voulait.

Pour vous, c’était direction New York !

Lorsque je suis arrivé à New York en 1982, j’avais entendu parler du Times Square Show, on connaissait à peine Basquiat et Keith Haring, des artistes qui avaient les mêmes idées que moi. C’est là que j’ai développé ce rapport avec les objets et les images populaires, ce qui m’a amené à créer cette boutique-galerie en 1990. Cette expérience m’a fait comprendre que le projet de l’art modeste était un projet public, pas un truc privé. Je n’étais pas là pour faire beaucoup d’argent avec des T-Shirts et des chaussettes, on vendait peu de ces jouets et de ces objets sophistiqués qui coûtaient très cher à fabriquer. À la fin, on perdait un pognon fou et j’ai payé les dettes pendant des années. J’ai appris que le capitalisme et le libéralisme n’étaient pas aussi ouverts que ça. Je me suis aperçu aussi que mon idée de partager des formes avec un public plus large et néophyte ne passait pas forcément par le commerce, mais surtout par le regard, et par le lieu, d’où la création du MIAM en 2000.

Pour revenir à la dimension technique, vous avez abordé la sculpture, la tapisserie, l’estampe, la fresque, la laque, le dessin animé, les images numériques, la céramique et êtes intéressé par la marqueterie. C’est bien souvent grâce à votre tour du monde commencé en 1992 que vous avez pu combler votre curiosité. Et aujourd’hui ?

Je continue la céramique à Lisbonne où j’ai un atelier – je pense encore rester 1 ou 2 ans –, mais mon projet autour du monde ne peut plus se faire comme je l’ai fait. Quand j’ai commencé à la fin des années 1980, les vols devenaient accessibles, il était facile de circuler et de commencer des projets, le Vietnam n’était pas accessible avant 1990-1991… Aujourd’hui, le problème est le déplacement.

Vous sentez-vous moins libre ?

Non, je suis plus exigeant. Et je ne veux pas rentrer dans un principe, ce qui devient facile à la fin : un pays =  une technique. J’ai plus envie de réunir tous ces savoirs. Pendant toutes ces années, j’ai fait une espèce de compagnonnage moyenâgeux, comme les artisans faisaient le tour de France ou les artistes allaient en Italie et à la Villa Médicis. Les peintres allaient travailler ailleurs pour se confronter à d’autres artistes. Je n’ai plus envie d’aller dans certains pays où j’allais souvent et je suis mal à l’extérieur de mon atelier, c’est pour ça que j’essaie de trouver des ateliers sympas à Paris ou à Lisbonne.

Est-ce que, ce retour au travail d’atelier qui caractérise cette période actuelle, est une façon de recoller les morceaux et de trouver votre identité ?

Peut-être. Avant, tout ce que je faisais était plutôt des recherches. En ce moment, ce parcours est plus immobile, entre le Portugal et Paris, les distances sont plus petites ! Mais maintenant, je me méfie beaucoup de l’exotisme…

Est-ce que vous vous êtes fait avoir avec l’exotisme ? Par l’attrait de l’ailleurs ?

Non, parce que très vite, quand j’ai commencé à faire mes projets au Ghana, au Vietnam ou au Mexique, j’ai vu la réception que cela pouvait avoir : le peintre voyageur. Ce n’est qu’une partie de ma vie. Dans les années 1980, j’ai aussi beaucoup voyagé pour mes expositions, principalement aux États-Unis, en Europe et un peu au Japon. J’aime faire des repérages ou aller travailler quelque part mais pas pour du tourisme. J’aimerais aller au Brésil, une autre source d’inspiration. Ce n’est pas trop les sujets qui importent mais plus l’énergie qui est transmise ou pas. Elle peut être captée à travers des collaborations ou en travaillant seul. Il faudrait que je réinvente de nouveaux protocoles pour être exalté, il faut que je sois exalté pour peindre et je ne peux pas le faire quand je m’ennuie.

Regardez-vous du côté des jeunes artistes ?

Il se passe des choses intéressantes en peinture, beaucoup de jeunes sortent de l’atelier de mon ami François Boisrond aux Beaux-Arts, avec une peinture extrêmement réaliste, assez proche de la photo, comme Jean Claracq. La peinture ne meurt pas.

Comment les choses se sont passées dans les années 1980 ? Il était vraiment difficile de peindre ?

Oui, lorsque j’ai commencé à la fin des années 1970, il n’y avait pas d’enseignement de la peinture aux Beaux-arts, c’est pour ça que je suis allé aux Arts déco, c’était plus technique. C’était dingue ce rejet, et pourtant, il y a eu des gens comme Suzanne Pagé qui m’a exposé pour la première fois au musée d’art moderne de la Ville de Paris. On ne défendait pas spécifiquement la peinture, comme à l’époque le faisaient les Allemands avec le néo-expressionnisme ou les Italiens avec la transavantgarde. Je voulais faire des images avec les choses les plus basiques. C’était plus qu’à contre-courant, c’était iconoclaste.

Quand on est punk dans les années 1980, comment gère-t-on le marché de l’art ?

Oh, je n’étais plus punk dans les années 1980. Le punk a commencé en 1976, avec les Sex Pistols,  et en 1979, Sid Vicious est mort et c’était fini. Après, c’était la disco et la new wave. Je me suis intéressé aux groupes allemands comme Kraftwerk, aux Cramps aussi. Aux Etats-Unis, Keith Haring et Kenny Scharf s’en foutaient, ils n’écoutaient que de la disco ! Des blacks, Diana Ross que j’ai rencontrée d’ailleurs. Côté marché, j’ai en tout cas toujours eu des collectionneurs et des galeristes qui m’ont soutenu.

Vous avez été élu à l’Académie en novembre 2022, dans la section Peinture au fauteuil occupé auparavant par Jean Cortot (1925-2018). Comment vivez-vous cette « institutionnalisation » ? Peut-on parler d’institutionnalisation à ce propos ?

L’Académie des Beaux-Arts est une grande institution, je dois dire que je n’aurais jamais eu la prétention ou l’outrecuidance de m’y présenter. Ce sont mes amis Gérard Garouste et Fabrice Hyber qui, eux-mêmes académiciens, m’ont parlé, il y a deux ans, de leur désir que je rejoigne la Compagnie – c’est ainsi qu’elle s’appelle également – et de participer à la rénovation de l’institution. La section Peinture n’est qu’une des multiples sections que compte l’Académie des Beaux-arts (sculpture, gravure, architecture, musique…).

Je suis là modestement, même si ma modestie en a pris un coup quand même ! Il y a des artistes conséquents qui ont voté pour moi, je suis très flatté ! Juste quelques noms : Jean-Michel Othoniel, Gérard Garouste, Fabrice Hyber, Anne Poirier…

Quelles sont vos ambitions pour ce nouveau rôle ?

J’ai tout un travail à faire. J’ai déjà accepté la présidence de l’Adagp en décembre 2021, la société qui gère les droits d’auteurs, j’espère que tout cela ne me prendra pas trop de temps sur la peinture, mais je pense que les artistes ont des positions à prendre sur la société, pas forcément d’un point de vue politique, mais sur la vie des artistes. Le collectif a toujours eu de l’importance pour moi, même si ça s’est terminé en queue de poisson, mais là c’est du supra collectif ! Ça me plait. Et puis, avec les artistes qui sont rentrés, ces dernières années, l’Académie a perdu son côté un peu ringard. Je me souviens quand j’avais 20 ans, il n’y avait que des artistes que je ne connaissais pas bien, des gens âgés. Aujourd’hui, les artistes qui y sont me parlent et certains sont de ma génération. J’ai assisté à l’installation de Catherine Meurisse [la plus jeune académicienne, née en 1980, ndlr] sous la coupole le 30 novembre 2022, c’est la première fois qu’une femme et une autrice de BD rentre à l’Académie. Les choses changent ! J’ai la chance de très bien vivre de mon travail depuis 40 ans, mais il y a encore beaucoup d’obstacles, je n’ai pas encore d’exposition à Beaubourg, peut-être que ça va venir.

Je ne peux pas me plaindre, alors que beaucoup d’artistes ont besoin de ces aides. C’est à nous de nous en occuper avec les fonds de l’Académie, comme on le fait à l’Adagp. Peut-être que j’ai beaucoup de prétentions et que mes envies vont être rabaissées par la réalité, mais en tout cas il y a une bonne énergie positive. Je suis heureux, et fier. Être adoubé par les siens, par d’autres artistes que j’aime beaucoup, ça touche !


Les photos illustrent l’exposition Exposition Hervé Di Rosa. Ses sources, ses démons
qui s’est tenue au Musée d’art et d’archéologie de Valence, du 27 mars au 28 août 2022.

Je voulais faire des images avec les choses les plus basiques. C'était plus qu'à contre-courant, c'était iconoclaste.

Hervé di Rosa