Portrait de Giovanni Magnoli
Portrait de Giovanni Magnoli

Giovanni Magnoli

Peinture

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Entretien avec Giovanni Magnoli, artiste urbain italien plus connu sous le nom d’artiste reFRESHink.

D’où vous vient cette passion pour l’art et en particulier pour le street art ?

Quand j’étais plus jeune, j’étais passionné par le monde du BMX et du skateboard. Cette façon typiquement américaine de faire du sport et de créer des images me fascinait. Je parle d’images parce que les toutes premières choses que j’ai pu apercevoir de cet univers étaient des clips vidéo et des photos dans les magazines. C’est à partir de cela que j’ai commencé à m’intéresser à cette forme d’art – je considère le monde du skateboard comme une expression artistique parce qu’en son sein, il n’y a pas que du sport mais aussi beaucoup d’images par rapport aux vêtements aux couleurs criantes, une sorte de street style qui a aussi influencé la mode. Ceci a été mon point de départ d’où a ensuite surgi ma passion pour le graphisme.

Vous êtes donc parvenu au street art par inférence. C’est-à-dire, cette forme d’expression correspondait-elle à votre passion de l’époque ?

Oui, j’ai été foudroyé par la nouveauté des tous premiers graffitis, des premiers tags, je n’en avais jamais vus auparavant. Cela m’a poussé à imiter, essayer, aller à la rencontre de la culture de cet « urban style » … Je crois qu’en réalité ç’a été la base de la plupart des artistes de ma génération : vers la milieu des années 1980, il n’y avait pas d’internet et cette culture s’est répandue par le biais des clips vidéo et des magazines.

Bien évidemment, en raison de ma manière de les représenter et des liens avec les graffitis, j’aime leur apporter de l’énergie tout en créant des coloris non réalistes afin qu’ils puissent assumer une plus grande force visuelle.

Quelles idées défendez-vous ?

J’ai progressivement évolué des graffitis typiques– souvent basés sur des lettres de l’alphabet – vers des représentations plus liées à la nature. De ce fait, les sujets dans mes travaux sont souvent des fleurs stylisées – telles que la marguerite, qui est devenue mon icône – ou des animaux. Bien évidemment, en raison de ma manière de les représenter et des liens avec les graffitis, j’aime leur apporter de l’énergie tout en créant des coloris non réalistes afin qu’ils puissent assumer une plus grande force visuelle. Souvent, on retrouve dans mes travaux des éléments qui se dispersent comme s’ils émettaient de l’énergie.

Votre objectif est donc de diffuser cette énergie créatrice ?

Oui, il s’agit d’éléments qui suggèrent l’idée du mouvement, de quelque chose de vivant : l’objet de mes représentations est la vie. Un autre élément que j’aime mettre en valeur est le contraste entre ce qui est réaliste et le trait graphique et géométrique. Ce qui me permet une juxtaposition entre la rigidité et la régularité de la technique et la composante gestuelle de la peinture.

Quelles ont été vos expériences les plus marquantes ?

Sûrement les expériences à l’étranger. Je me suis rendu à Berlin, à Copenhague et plus récemment à Paris. Il s’agit d’une reconnaissance importante pour ma production artistique mais, surtout, d’une occasion très intéressante de me confronter à la scène du street art dans un contexte international. Je considère ces expériences comme un moment fondamental dans le processus de ma croissance stylistique personnelle : même si cela peut sonner comme banal, je me considère comme quelqu’un qui est toujours en recherche. C’est pourquoi mon travail est une expérimentation continuelle : je cherche à m’enrichir jour après jour de tout ce qui se passe dans ma vie, aussi parce que je me considère comme un autodidacte. Par conséquent, pour moi cette approche est très importante : elle reste axée sur l’improvisation et l’expérimentation mais petit à petit, une direction plus univoque est en train de prendre corps… Il s’agit de condenser plusieurs idées et de les axer vers une direction spécifique.

Que pensez-vous de l’art contemporain ?

Je suis attiré non pas seulement par le monde du writing et du street art mais aussi par tout ce qui est autour de cela. C’est pourquoi j’ai essayé de cumuler autant de notions que possible ainsi que de nourrir ma soif ou faim d’art, surtout d’art visuel. En tout cas, j’aime le graphisme, le design, le monde de la photographie. Et je suis très fasciné par d’autres scènes artistiques telles que la figuration ou l’abstraction. Plus généralement, je suis satisfait de ce qui est produit à l’heure actuelle dans le monde de l’art, car au delà des polémiques habituelles liées à chaque biennale ou foire d’art contemporain, nous sommes confrontés à une production artistique qui a énormément évolué au fil des dernières décennies.

Pour revenir au street art, je peux témoigner du fait qu’il n’y a aucun doute au sujet de la sincérité de l’artiste dans la mesure où cette artiste garde une sorte de pureté par rapport à sa démarche – ce qui implique par exemple l’illégalité du geste, qui est une connotation incontournable de ce milieu. Mais il ne faut pas oublier que certains street artistes n’hésitent pas à chevaucher les logiques du marché, au moment où les dynamiques économiques des galeries et des ventes aux enchères commencent à conditionner leur travail.

Si vous deviez me demander, si je suis un street artiste ou un writer, je serais obligé de vous répondre que je ne suis plus un street artiste car je ne travaille plus dans l’illégalité. D’autant plus que je suis en train de me faire interviewer et vous connaissez mon nom et mon prénom. Mais dans mon parcours, j’ai traversé une phase fondamentale durant laquelle j’étais street artiste : les graffitis ont été mon école car ils sont à l’origine de mon développement culturel et artistique. Je ne peux pas le renier ni le cacher.

Je pourrais me définir comme un writer parce que le travail avec l’aérosol et la bombe fait partie de mon métier ainsi que de ma technique.

Justement, aujourd’hui vous êtes un writer…

Je ne suis pas un street artiste pour les raisons que je viens de vous expliquer. Je pourrais me définir comme un writer parce que le travail avec l’aérosol et la bombe fait partie de mon métier ainsi que de ma technique. Je travaille aussi avec des pinceaux mais la base est toujours la bombe : pour moi, il est très important de toujours montrer l’origine de mon expression artistique.

Est-ce qu’il vous arrive de travailler en atelier ?

Oui il m’arrive de travailler en atelier en dépit des critiques au sujet de mon travail qui était considéré comme des tableaux n’ayant rien à voir avec le street art. Je crois que les artistes qui, comme moi, ont travaillé longtemps en tant que street artistes, sont légitimés à effectuer une synthèse et à essayer de transmettre le même genre de message par le biais de la toile. Il faut bien évidemment un background de travail dans la rue et non pas se limiter à se proclamer street artiste pour suivre une mode.

Un phénomène tout récent qui, à mon avis, va entrer dans l’ensemble de l’art urbain est la tendance à décorer des façades avec des œuvres d’art : nombreuses sont les critiques qui cherchent à réduire cela à une forme d’illustration, personnellement, je pense que ces « news murals » ou « contemporary murals » – les étiquettes ne servent qu’à délimiter le domaine de l’analyse – vont constituer une étape fondamentale dans l’art à venir.

Ce symbole éveille la curiosité au sujet de l’auteur et de la signification de son geste.

Selon vous, où se situe l’art dans votre travail ?

Chacun d’entre nous pourrait donner des définitions assez différentes de l’art. L’art, c’est transmettre quelque chose, laisser une trace, communiquer une émotion… Pour moi, c’est essayer de susciter l’étonnement chez la personne qui voit mon œuvre. Au moment où certains street artistes ont décidé d’explorer d’autres moyens expressifs que le tag, l’utilisation de symboles a donné naissance aux logos. Quand j’ai choisi d’utiliser une marguerite stylisée, mon objectif était de faire sourire les gens ainsi que de faire pousser une fleur dans un lieu où normalement il n’y en a aucune. Ce symbole/marque éveille la curiosité au sujet de l’auteur et de la signification de son geste.

Donc c’est ça votre approche artistique : créer l’étonnement…

Tout à fait : c’est là où se situe l’art dans mon travail. Ma production actuelle regroupe le street art et le writing mais elle ne s’arrête pas là : je prends de la distance par rapport à ceux qui cherchent à être des writers purs et continuent à travailler seulement pour eux-mêmes, ainsi que par rapport à d’autres qui prétendent être des street artistes mais qui travaillent autant dans les galeries que dans la rue.

Qu’est-ce que votre travail apporte au sein de notre société ?

Chaque jour, je découvre que mon engagement m’a permis d’atteindre des objectifs importants. Je crois que si l’on investit des énergies afin de transmettre notre culture [du street art, N.d.R.] aux gens, le retour est toujours positif dans la reconnaissance du public. Il est important de l’habituer à la beauté, et de lui faire comprendre que l’art urbain produit des œuvres plaisantes. Je fais cela parce que trop souvent les œuvres de street art reçoivent des critiques tandis que, juste à quelques rues, cinq ou six énormes panneaux publicitaires sont malheureusement considérés comme quelque chose de normal.

Mon travail est sans doute plus esthétique que social, mais j’essaye aussi de transmettre un message social.

Vous parlez d’habituer les gens à la beauté : s’agit-il d’une approche strictement esthétique ou aussi de véhiculer des messages ?

Mon travail est sans doute plus esthétique que social, mais j’essaye aussi de transmettre un message social. Normalement, dans mes travaux on retrouve une sensibilisation vers la nature : la fleur qui est mon icône se fait porteuse de ce message. Il s’agit de rendre conscients les gens – qui sont très impliqués dans la réalité urbaine – de la présence constante de la nature.

Quel est votre artiste préféré ?

Je n’ai pas de préférence pour un seul artiste. Je serais banal si je disais qu’il y en a beaucoup trop…

Si vous n’avez pas de préférence, avec quel artiste ou quels artistes vous sentez-vous en correspondance ?

Encore plus difficile… Je pourrais en nommer quelques-uns. Tout d’abord Picasso car c’est le premier que j’ai connu et aussi parce que mes parents sont de Vallauris [petite ville près de Cannes, N.d.R.] où le grand maître a vécu et cela me fascine énormément. En plus, Vallauris est le lieu où j’ai découvert les tags et les skaters.

Puis Andy Wahrol, pour son côté graphique, et parce qu’il utilisait la sérigraphie qui a constitué une composante essentielle de mon métier durant plusieurs années. Parmi les contemporains, j’apprécie beaucoup le travail de l’américain Barry McGee et celui du duo brésilien Os Gêmeos. Je voudrais encore citer Bruno Munari, dont le travail a malheureusement été sous-estimé et qui, à mon avis, a été un grand précurseur du graphisme contemporain.

Une syntonie spécifique avec l’un de ceux que vous venez de nommer ?

Je ne saurais pas vous dire. Picasso me fascine beaucoup pour les œuvres dans lesquelles la composante gestuelle est prioritaire ainsi que pour son originalité et sa manière de travailler de manière instinctive.

Selon vous, pourquoi l’art est-il important ?

Selon moi l’art est important car il s’agit d’une chose vraie, d’une chose humaine. Il est important par rapport à la trace qu’il laisse.

En chacun de nous ou pour le message qu’il véhicule ?

Le deux : en tant que documentation mais aussi en tant que sentiment. Je pense que l’importance de l’art se situe autant dans le fait de transmettre le ressenti personnel de l’artiste que dans le fait de communiquer un ou plusieurs aspects de la culture contemporaine et de stimuler le dialogue entre les gens. Par rapport à cela, l’art des street artistes et des writers s’avère être particulièrement efficace car son accès est instantané. En tout cas « art » est un mot tellement grand, un monde si vaste…

En tant que street artiste, j'essaie toujours de transmettre un message positif (...) afin de stimuler les gens à s'approcher de notre culture...

Giovanni Magnoli