Portrait de Cyrille Gouyette
Portrait de Cyrille Gouyette

Cyrille Gouyette

Curateurs

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Cyrille Gouyette, historien de l’art et concepteur-animateur d’ateliers pédagogiques a intégré le service culturel du Musée du Louvre en 1993. Il n’a depuis de cesse de vouloir rassembler les publics, rendre l’art accessible à tous et en faire un véritable outil de discussion et de rapprochement entre les générations. Depuis 2008, il dirige l’unité Éducation Artistique, proposant des formations aux enseignants, tissant des partenariats entre le monde scolaire et les institutions culturelles, développant des projets internationaux et faisant intervenir des artistes contemporains au musée lors de soirées inédites et hors du temps.

Son désir de partager sa passion tout en apportant un regard neuf sur ce que l’art a toujours su dire de notre société a décidé Cyrille Gouyette à prendre la plume. « Sous le street art, le Louvre » paru en 2019 et un nouveau volume à paraître au mois d’octobre prochain décrivent la relation entre les œuvres classiques et l’art urbain. Un exercice de style qui fait le lien entre hier et aujourd’hui.

Comment vous est venue l’envie de rendre l’art accessible au plus grand nombre ? Et pourquoi ?

Tout d’abord, il faut savoir que j’ai toujours eu une vocation artistique. J’ai toujours beaucoup dessiné. C’est quelque chose qui m’habitait, j’ai donc choisi d’étudier à l’école des Beaux-Arts et de faire un double cursus avec l’histoire car ce sont vraiment les deux choses qui m’intéressent le plus. Cela m’a naturellement amené vers l’histoire de l’art et donné envie de travailler dans un musée, plus précisément au sein d’un service qui fasse œuvre de pédagogie. Cela m’a permis de partager mon amour pour l’art ainsi que tout ce que j’ai pu découvrir durant mes études et tout au long de mon parcours.

J’ai eu la chance de développer « un œil ». J’y trouve tellement de contentement et de plaisir que je trouve dommage de ne pas en faire bénéficier les autres. Au fond, l’art c’est le partage. Garder une œuvre d’art que pour soi-même ou la regarder et ne pas en profiter avec quelqu’un, c’est regrettable. J’ai aussi toujours eu à l’esprit de vouloir discuter des œuvres, de transmettre des connaissances à différentes générations. Grâce à mes études, j’ai acquis les codes pour le faire et c’est vraiment ce partage avec les autres qui est le plus intéressant.

Est-ce un avantage de travailler pour une institution comme le Louvre ?

Oui car d’une part, le Louvre abrite un grand nombre de collections très riches et des œuvres qui font partie de l’inconscient collectif. Il y a certains chefs d’œuvre qui sont de toutes façons connus, qui continuent à vivre aujourd’hui en étant cités régulièrement dans la presse par exemple. C’est un vivier extraordinaire. D’autre part, nous avons à notre disposition tous les moyens d’un grand musée international. L’éducation artistique est une priorité qui bénéficie du soutien du ministère de la Culture et du ministère de l’Éducation Nationale. Le fort enjeu que représente l’éducation artistique fait que d’importants moyens sont mis en place afin de construire des programmes et des projets pédagogiques.

Dans ce cadre, quelles sont les différentes actions que vous avez menées dans ce souci de démocratiser la culture ?

Tout au long de ma carrière, j’ai développé beaucoup de projets pour tous types de publics. J’ai travaillé le plus souvent sur des programmes à destination des personnes handicapées, notamment les publics handicapés visuels. J’ai imaginé une galerie tactile, composée de moulages, qui permettent d’appréhender la culture quand on ne voit pas. Ce qui est intéressant, c’est que ce type d’outils peut servir à tout le monde. Mon but n’est pas de cloisonner les publics mais au contraire, de partager et discuter autour des œuvres. Cette galerie tactile a pu bénéficier d’une portée internationale, grâce aux partenariats de grande qualité que le Louvre peut nouer avec d’autres structures du monde entier. C’est aussi l’un des nombreux avantages de travailler pour un musée comme le Louvre, car cela enrichit toujours les pratiques de tous les acteurs des structures muséales.

J’ai aussi créé toute une collection d’ouvrages tactiles, avec le concours d’un expert de l’image tactile qui travaille à la Cité des Sciences. L’idée est que les collections du Louvre soient accessibles par ce qu’elles ont de plus faciles à transmettre en relief, comme les hiéroglyphes ou les silhouettes des vases grecs. Et ces ouvrages, destinés en priorité au public non-voyant peut également permettre de faire découvrir l’histoire et l’art à des publics scolaires ou jeunes.

Et pour susciter l’intérêt du jeune public, j’ai aussi eu l’idée de partir de la culture des jeunes, à savoir l’art urbain, le street-art et faire en sorte de tisser des liens entre cet art très actuel qui se développe dans la rue et les collections du musée. Parce-que le lien existe, il est très présent, il est très fort, souvent par le détournement, la parodie ou la citation. Ce projet jeune public est tripartite entre un artiste, un établissement scolaire et les collections du Louvre : nous avons la chance de pouvoir travailler avec des artistes urbains vivants, jeunes et accessibles, qui choisissent une œuvre et qui démontrent le lien entre la création passée et contemporaine. Tout ceci avec la participation très active des enseignants sur le volet pédagogique bien évidemment.

Comment s’est déroulée votre rencontre avec le street-art ?

Il est vrai qu’à travers le Louvre, j’ai l’habitude de travailler avec des œuvres et des collections classiques, même si je ne m’arrête pas qu’à cela. Ayant étudié l’art byzantin et l’art de la Renaissance italienne, il serait possible de croire que j’évolue dans un univers très cloisonné. Mon déclic pour le street-art s’est produit à l’École 42 : le fonctionnement assez inédit de cet établissement fondé par Xavier Niel m’a interpellé. Je me suis d’autant plus intéressé à cette structure lorsque Nicolas Laugero-Lasserre, directeur de l’ICART, cofondateur et directeur artistique de Fluctuart, a décidé d’y exposer des pièces très éclectiques de sa collection. Je me suis retrouvé au milieu d’œuvres que j’ai trouvé extraordinaires sans en connaître une seule ni leurs créateurs. C’était complètement nouveau pour moi et parallèlement, j’arrivais à percevoir des parentés avec des œuvres du Louvre. Mais c’était une découverte totale, bien que je connaisse aussi assez bien l’art contemporain. Contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient croire, ce déclic ne s’est pas produit dans la rue. Il a fallu que cet art de rue passe par un lieu muséal pour que ça me frappe. J’aime également beaucoup cette idée de faire « un pas de côté » en mettant l’art là où l’on ne l’attend pas forcément, en exposant des créations d’artistes inconnus mais qui vont contribuer à changer notre regard, surtout pour nous les historiens de l’art.

Comment avez-vous eu l’idée d’écrire votre ouvrage « Sous le street-art, le Louvre » ?

J’avais une double motivation dans la réalisation de ce livre. Tout d’abord, transmettre cette passion, ce souffle d’air frais que m’a apporté cette découverte. Toutes les personnes avec qui j’en discutais me disaient qu’il y avait un vrai sujet, véritablement beaucoup de matière pour travailler et j’avais à cœur d’encrer ces artistes du street-art dans l’histoire de l’art. Ils ne viennent pas de nulle part, ils sont dans la citation ou la parodie pour différentes raisons, qui m’ont aidées à construire les différents chapitres de ce livre.

Ensuite, je souhaitais toucher un public qui n’ira pas spontanément vers l’art urbain mais qui, se rendant compte qu’il y a un lien avec des collections anciennes et des œuvres dites « références », va réaliser que ce qu’il voit dans la rue ne sort pas de nulle part, que ce n’est pas n’importe quoi. Je trouve aussi intéressant que cet ouvrage puisse être lu et apprécié par différentes générations. Je l’ai constaté et on me l’a rapporté : au sein d’une même famille, les aînés qui ont cette culture de Delacroix, Poussin par exemple vont échanger avec leurs petits-enfants qui admirent Banksy, Jef Aérosol ou C215 et prendre conscience qu’il y a plus de points communs dans leurs œuvres respectives qu’on pourrait le croire.

Vous avez également crée votre compte Instagram et votre chaîne YouTube, que peut-on y trouver ?

L’idée m’est venue durant le premier confinement l’année passée. Le format d’une minute imposé par Instagram m’a inspiré de tourner des vidéos dans lesquelles je compare une œuvre d’art classique avec une œuvre d’art urbain. J’ai créé deux séries, reprenant à la fois des contenus de mon livre et des sujets tout à fait nouveaux puisque j’ai découvert d’autres créations entre temps. Le travail d’écriture est très important et ce que j’ai voulu pour chaque chronique, ce n’est pas de parler d’une œuvre in-extenso mais plutôt de l’aborder à travers un prisme : par exemple, j’ai comparé « les jardins de Giverny » de Monet avec le travail de Logan Hicks, un pochoiriste new-yorkais dont la technique rappelle l’impressionnisme.

Lors du deuxième confinement, j’ai procédé différemment, en demandant à mes followers de me mettre au défi ! Ils m’ont envoyé des photos de créations d’art urbain et je devais trouver le lien avec une œuvre ancienne, par le biais de la technique ou sous le thème de l’iconographie, du portrait… Cela a conduit à de nouveaux travaux de recherche qui seront en partie l’objet d’un nouvel ouvrage à sortir à l’automne prochain.

Logan Hicks versus Monet

Pour vous, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?

Pour moi, c’est une œuvre qui peut être qualifiée de « virtuose », c’est-à-dire qui a des qualités esthétiques et plastiques extraordinaires mais surtout qui continue à « parler » à travers les siècles. Elle doit pouvoir véhiculer une permanence dans la réception ou peut être réactivée par l’actualité. Je pense au « Radeau de la Méduse » ou « La Liberté guidant le Peuple » qui sont d’une immense qualité technique et esthétique et qui surtout touchent encore et toujours les artistes et un public des plus larges.

Selon vous, pourquoi l’art est-il important dans nos vies ?

L’art est tout ce qui transcende, dépasse le quotidien. L’art pourrait être considéré a priori comme quelque chose d’inutile puisque l’être humain dans sa condition animale n’en a pas besoin pour survivre biologiquement. En revanche, l’art est quelque chose qui va nous élever et qui parle, certes à notre intellect, mais aussi à notre âme, à notre imaginaire. L’art a ce pouvoir de nous transporter ailleurs, de nous faire rêver et en cela, il est indispensable.

C’est aussi grâce à l’art que l’homme se distingue de l’animal puisque nous devenons capables de créer, d’imaginer. Cela nous apporte énormément à titre personnel et d’autre part, l’art permet aussi de fédérer les hommes, de les transporter ensemble.

L’art peut souder une collectivité, une société, lui donner du sens et faire en sorte qu’elle porte des valeurs humanistes. C’est d’autant plus vrai que certaines sociétés extrémistes, dictatoriales et régressives veulent, dans le meilleur des cas, récupérer l’art et dans le pire des cas le détruire. Ce qui prouve bien que l’art rend l’homme et la société libres, leur permet de s’accomplir en tant que personne et d’échapper à toutes les doctrines, à tous les enfermements.

 

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Mon but n’est pas de cloisonner les publics mais au contraire, de partager et discuter autour des œuvres.

Cyrille Gouyette