Portrait de Benjamin Didier
Portrait de Benjamin Didier

Benjamin Didier

Photographie

https://artinterview.com/interviews/benjamin-didier/

Les photographies de Benjamin Didier nous donnent à voir un réel transcendé loin d’une réalité descriptive. Ces noirs et blancs s’intensifient graphiquement offrant une texture picturale, une matière photographique s’approchant parfois de l’abstraction ou révélant un instant de vie magique où la lumière modèle la forme. Entretien avec le jeune photographe qui nous parle de sa démarche artistique, du rôle du hasard dans son œuvre et de sa passion pour l’art qui le guide...

Pourquoi avoir choisi le métier de photographe ?

La photographie est venue de manière assez évidente parce que j’avais des parents, et surtout une mère, qui prenaient beaucoup de photographies et qui me prenaient beaucoup en photo [rire]. Pour moi, le premier ressort de la photographie est donc lié à la mémoire et aux souvenirs. Cela rejoint mon goût de la nostalgie.

Votre photographie semble axée sur la recherche de la matière picturale. Souhaitez-vous dépasser la perception immédiate des choses pour donner corps à une forme d’abstraction ?

Ma recherche photographique est très picturale. La réalité brute m’intéresse assez peu. Je vais rechercher des sensations au niveau de la matière image qui sont des sensations plastiques et non pas descriptives. Évidemment, lorsqu’on explore la matière, on a envie d’aller dans l’abstraction, et c’est bien compréhensible. Mais je ne veux pas que l’abstraction soit un écueil.

L’eau est un élément extrêmement vivant, c’est un vecteur, il apporte la vie et module la lumière. En le photographiant, l’élément prend soudainement une vie étonnante et parfois insoupçonnée qui nous rappelle des choses abstraites, c’est le monde vivant. Par exemple, une série de photographies d’eau qui ressemble à un réseau de neurones. Ce qui me fascine, c’est que tout d’un coup, l’image prend corps…

À la fois intentionnel et imprévisible, votre travail final découle-t-il d’un processus artistique qui relèverait parfois du hasard ?

« C’est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche » ; cette phrase de Pierre Soulages reflète tout à fait ma démarche. Elle rejoint ce que j’évoquais, dans l’absence d’anticipation, les choses s’imposent parfois à vous. La citation de Winogrand dans la même fibre de celle de Pierre Soulages faut aussi sens ; « Je fais de la photographie pour savoir de quoi auront l’air les choses une fois photographiées ». On a beau avoir une idée de ce qu’on souhaite photographier, il y a toujours cette surprise car on ne peut pas tout anticiper. Le dernier sujet sur lequel je travaille s’appelle La forme de l’eau. De fil en aiguille, je suis arrivé à quelque chose de complètement différent de ce que j’imaginais mais, qui est finalement ce que je recherchais sans le savoir depuis bien longtemps. J’adore mon métier justement pour ces moments-là.

L’humain est peu présent de votre travail. Pourquoi ce choix ?

Je m’y suis confronté dans une autre partie photographique de ma vie mais aujourd’hui, je ne traite plus l’humain dans ma photo. Je trouve que photographier l’humain est devenu extrêmement compliqué parce que le rapport à l’image n’est plus du tout le même. Ce que je vais rechercher chez les gens est très pur… Hélas, ça ne fonctionne pas et je n’ai pas envie de creuser cela. Le seul sujet que je photographie, c’est ma femme [rire].

Privilégiez-vous le noir et blanc à la couleur ?

Je travaille le noir et blanc et la couleur. Aujourd’hui, je travaille en numérique parce que c’est maintenant un outil que je maîtrise bien. Pour moi, le noir et blanc est la forme d’expression photographique la plus sincère. La couleur apporte une autre dimension, raconte quelque chose et apporte une expression qui peut nuire aux propos photographiques initiaux si l’on n’y prête pas attention. Quand je travaille le noir et blanc, c’est toujours à dessein, comme par exemple sur l’aspect mémoriel de mon travail, j’utilise la technique du sténopé.

En revanche, la couleur devient pour moi un sujet. Par exemple, j’ai réalisé un travail sur l’eau à Venise, des monochromes sur une couleur parce que je trouvais que cette couleur un peu jade était bien à l’image de cette ville unique au monde.

Quel a été votre premier choc esthétique ?

Même si la photographie est l’une des premières sources d’inspiration par culture, je suis très sensible à la peinture et à la sculpture. Je me souviens très précisément de mon premier choc esthétique, c’était La Chambre de Van Gogh à Arles au Musée d’Orsay. Il s’est passé quelque chose, je devais avoir dix ou onze ans. Et tout d’un coup, les couleurs extraordinaires, le bleu, le jaune, la force du trait m’ont fasciné… J’ai pris une claque. Il n’y avait pas besoin d’explication. C’est comme quand vous tombez amoureux, vous pouvez ensuite essayer de comprendre pourquoi, mais à quoi bon, ça n’a pas vraiment d’importance.

Selon vous, comment reconnait-on un chef-d’œuvre ?

C’est une œuvre qui atteint une évidence et qui traverse le temps. Aujourd’hui, un chef-d’œuvre peut être reconnu à une certaine époque, mais est-ce qu’on le reconnaîtra comme tel dans mille ans ? Les grands artistes contemporains d’aujourd’hui en tête d’affiche le seront-ils encore ? Je n’en sais rien. L’un des chefs-d’œuvre les plus connus au monde, La Joconde, a plus de 500 ans et personne ne peut la remettre en cause. Elle procure toujours autant de fascination… Voilà, le chef-d’œuvre, c’est ce qui ne s’explique pas, c’est ce qui est.

Qu’est-ce qui vous guide dans votre recherche ?

Ce qui me guide, c’est la passion. Il y a une vraie recherche d’absolu. Avec un commissaire d’exposition, on avait imaginé faire une exposition avec une seule photographie. La photo se suffit à elle-même et c’est ça l’absolu. C’est atteindre la grâce, l’évidence, ce que certains appellent le chef-d’œuvre. Si on me demande quel but je poursuis, c’est celui-là.

Et le rêve ?

Le rêve [rire] … La chance de l’artiste, c’est qu’on s’autorise à rêver en permanence. C’est quelque chose qu’on peut parfois payer cher, mais c’est le privilège que nous, les artistes, nous nous accordons, c’est de pouvoir rêver et montrer ce rêve.


Site officiel de l’artiste

La chance de l'artiste, c'est qu'il s'autorise à rêver en permanence... C'est quelque chose qu'on peut parfois payer cher mais c'est le privilège que nous les artistes nous nous accordons, c'est de pouvoir rêver et montrer ce rêve...

Benjamin Didier