
Par Anne-Isabelle Justens
On le connait tous sans le connaître, Banksy réussit depuis des années à faire parler de lui tout en conservant précieusement son identité secrète. Ce maître du street art multiplie les œuvres et les actes engagés. Surfant sur les maux de notre époque, il aime piquer là où ça fait mal et nous rappeler que le monde ne tourne pas toujours rond. Sa dernière œuvre, « Game Changer », mise au enchère au profit du service public britannique de santé a dépassé les 16 000 000 £ ( soit plus de 19 000 000 €) et doublé ainsi son précédent record. Un anticapitaliste qui refuse le gain mais fait exploser le marché de l’art, il n’en faut pas plus pour attirer le public. La nouvelle galerie Deodato Art l’a bien compris et frappe fort avec son exposition inaugurale : Banksy. The Brussels Show.
Pour la première fois à Bruxelles, depuis le fiasco de « Banksy Unauthorized » il y a deux ans, des sérigraphies certifiées par Pest Control sont accessibles au public belge (pour les plus nantis, certaines sont même à vendre). Attention, l’exposition n’est cependant pas autorisée par le graffeur britannique, il n’en autorise jamais aucune qui ne vienne de lui. Vous pourrez y découvrir notamment le triptyque Flower Thrower, encadré par Banksy lui-même et exposé lors de son magasin éphémère à Londres le Gross Domestic Product en 2019, ainsi que Toxic Mary ou Love Rat pour ne citer que les plus connues. Une occasion de s’évader, de se poser des questions sur nous et sur le fonctionnement de notre société, tout en découvrant un nouvel endroit dédié à l’art en plein cœur de la capitale. Entretien avec Ginevra Andreoni, la responsable de la galerie Deodato Art à Bruxelles.
C’est une toute nouvelle galerie, pourquoi avoir choisi Banksy pour la lancer ?
Justement parce que la galerie est nouvelle et que personne ne nous connaît ici. À l’origine, la galerie est italienne, elle a été créée par Deodato Salafia. Nous avons déjà trois sièges en Italie et un en Suisse, nous avons décidé d’en ouvrir un ici. Bruxelles est une ville très dynamique, très vive. C’est un peu le Milan belge, si je puis dire, il y a une vie économique et artistique très dense. Officiellement, la galerie est ouverte depuis octobre. Mais il y a eu le reconfinement et nous avons dû fermer jusqu’au mois de décembre.
Pour la réouverture, il nous fallait une exposition importante puisqu’en cette période nous ne pouvons pas faire de grands évènements ou de soirée de lancement. Nous voulions quelque chose qui nous ferait connaître à Bruxelles. Organiser une exposition sur un artiste qui intéresse autant qu’il intrigue, c’était l’idéal. Banksy s’est presque imposé à nous, il est le street artiste le plus connu dans le monde et le plus côté sur le marché. De plus, nous avons la chance d’avoir réussi à réunir une collection importante, ce qui est peu commun avec Banksy. Toutes les œuvres exposées ici appartiennent à la galerie. Monsieur Deodato, le propriétaire, a pu au fil des années entrer en contact avec des proches de l’artiste. Il s’est intéressé à Banksy bien avant que les musées et les galeries ne soupçonnent son succès à venir. Aujourd’hui, ses œuvres sont exposées dans le monde entier. L’art urbain est de plus en plus reconnu. Une fois la billetterie ouverte, l’exposition a été complète en quelques jours.
Selon-vous, pourquoi Banksy déchaine-t-il les foules ? Quelle est sa singularité ?
Les gens ont envie de se connecter avec l’art, surtout en ce moment. Et là, on parle d’un artiste de renommée mondiale. Pour moi, c’est l’artiste le plus important en ce moment. Il plait au plus grand nombre grâce à son énorme capacité à communiquer. Il aborde dans ses œuvres des thèmes très liés à la contemporanéité, des thèmes comme la guerre, l’économie, la politique, le fonctionnement de notre société. Des thèmes qui nous touchent tous. Ce sont de grands sujets, de nombreux artistes s’en emparent, mais lui les traite de façon complètement différente, personnelle. Il est à la fois irrévérencieux et incroyablement clair, direct, sans jamais tomber dans le simplisme. Il est capable d’entrer dans la tête de celui qui contemple ses œuvres et de le frapper de l’intérieur. Ce pouvoir-là en fait un des plus grands. Sa personnalité mystérieuse, son anonymat et le fait qu’il n’est pas si facile de rentrer en contact avec ses œuvres, de les contempler de ses propres yeux, jouent aussi un grand rôle. Ce côté inaccessible attire le public, forcément.
Banksy – Love Rat – serigrafia – carta 50 x 34cm
Banksy – No Ball Games – serigrafia – carta – 70 x 70cm
Banksy – Toxic Mary – serigrafia carta – 70 x 50cm
Banksy -Very Little Helps serigrafia carta – 37,4 x 50, 6cm




Vous dites que son travail n’est pas facilement accessible, pourtant ses œuvres originales sont faites sur des murs à la vue de tous. Ce n’est pas ce qui rend le street art populaire ?
Si évidement, mais il n’a pas fait d’œuvres dans tous les pays. Par exemple, en Belgique, il n’y en a pas, en tous cas pas que je sache, mais c’est vrai qu’on ne sait jamais avec lui (rire). Donc, ici à Bruxelles, les gens n’ont pas la possibilité d’admirer une de ses œuvres. C’est pour cette raison que nous avons voulu donner aux habitants de la Belgique l’opportunité d’entrer en contact avec cet artiste si important.
Est-ce que ces pochoirs encadrés, exposés dans une galerie, ont autant de sens que ceux qui ont été exécutés sur un mur ? Ne sont-ils pas sortis de leur contexte ?
Pas vraiment selon moi. Aujourd’hui de plus en plus de street artistes travaillent dans leur studio. Ils ne réalisent plus seulement des peintures murales mais aussi des œuvres sur des toiles ou sur du papier, des pièces uniques parfois ou des sérigraphies. Certains ont même abandonné la rue et ne sortent plus de leur atelier. De plus c’est Banksy lui-même qui réalise ces sérigraphies, c’est son choix. Donc pour moi, elles ont autant de sens, ce sont les mêmes œuvres.
L’art urbain évolue naturellement, comme tous les courants artistiques. On le voit dans l’histoire de l’art, rien ne reste figé. Ces toiles et ces sérigraphies permettent à ces artistes d’agrandir leur production et donc leur visibilité et leur marché. Elles peuvent être achetées par les collectionneurs et les amateurs d’arts et ainsi entrer en contact avec un public beaucoup plus large.
L’anticapitalisme et le refus du profit que prône Banksy n’est-il pas complètement antagoniste avec le fait d’être si bien côté aujourd’hui sur le marché de l’art ?
Il y a de la contradiction dans le phénomène Banksy, c’est certain. Il se positionne, c’est vrai, contre le marché de l’art et il n’autorise aucune de ses expositions. Nous avons d’ailleurs pris contact avec Pest Control qui gère les droits de l’artiste et ils nous ont demandé de spécifier qu’elle n’était pas autorisée par l’artiste. Mais, d’un autre côté, c’est lui qui vend ses œuvres, c’est lui qui les met sur le marché via ses proches. C’est aussi lui qui a décidé de faire des sérigraphies. Il joue avec la limite : il dénonce le marché et la consommation mais il réalise des sérigraphies en 700 exemplaires numérotés. Elles ne peuvent être destinées à autre chose qu’à la vente.
Quelle est l’œuvre de Banksy qui vous touche le plus ?
Donuts Strawberry. C’est une critique géniale de la police américaine. Dans beaucoup de films, les policiers des États-Unis sont représentés assez gras, toujours assis sur leur chaise, mangeant des donuts. Banksy va jouer avec cette image. On voit cinq policiers en train de protéger un camion qui vend des donuts comme ils protègeraient une personnalité importante. C’est une critique claire, cinglante. Dans ce dessin, on retrouve la grande capacité de l’artiste à communiquer un message très simple d’une manière extrêmement originale. Ça représente bien son œuvre et sa démarche.

Le besoin d’art est-il encore plus grand en ce moment ?
Oui. On le ressent. L’art est l’un des secteurs les plus frappés par cette pandémie. Ici c’est un peu différent mais en Italie les musées ont été fermés très longtemps. Sans parler des théâtres et des cinémas qui nous manquent à tous. Les galeries sont malheureusement considérées comme des commerces non-essentiels, on doit s’adapter sans cesse aux nouvelles mesures du gouvernement. Mais malgré tout, le public est présent. Cette dynamique de sortir de chez soi, de faire quelque chose de normal ou presque, est essentielle, plus que jamais aujourd’hui.
Dans son magasin éphémère Gross Domestic Product, Banksy demandait au potentiel acheteur « Qu’est-ce que l’art représente pour vous ? », et, en fonction de la réponse, il pouvait ou non acquérir une œuvre. Je vais vous poser la même question : qu’est-ce que l’art représente pour vous ?
L’art c’est la liberté. C’est un des moyens les plus forts et les plus directs de communiquer. Il donne à l’artiste la possibilité de dire ce qu’il veut, comme il le veut, sans limite, en s’affranchissant de toutes les pressions qu’exerce la société. On le voit très bien avec Banksy. L’artiste s’empare d’une très grande liberté d’expression et du coup va libérer le spectateur aussi. Quand on va au musée et qu’on regarde une œuvre, on se relaxe, on s’évade, on s’éloigne des problèmes. On retrouve, pendant une heure ou deux une totale liberté, en dehors de toute contrainte du quotidien. Je pense que c’est ça que les gens recherchent avec l’art : qu’il nous emmène dans des endroits inattendus.
Et vous, ça vous fait quoi de passer vos journées au milieu de toutes ces œuvres ?
Ça me fait un bien fou, je fais l’un des plus beaux métiers du monde. Je suis toujours en contact avec la beauté, avec les couleurs, avec les artistes aussi. J’ai étudié l’histoire de l’art, j’ai toujours voulu être au plus proche des œuvres. J’ai cette chance inouïe d’adorer mon travail.
Exposition “Banksy. The Brussels Show” – Galerie Deodato Art – credit Emmanuel Laurent
Exposition “Banksy. The Brussels Show” – Galerie Deodato Art – credit Emmanuel Laurent
Exposition “Banksy. The Brussels Show” – Galerie Deodato Art – credit Emmanuel Laurent



Photo à la une : triptyque Flower Thrower – Bansky – credit : Emmanuel Laurent.
“Banksy. The Brussels Show”, du 25 mars au 12 juin 2021 à la Galerie Deodato Art, Rue Saint-Jean 28, 1000 Bruxelles.
