Portrait de Arne Quinze
Portrait de Arne Quinze

Arne Quinze

Plasticiens

https://www.artinterview.com/interviews/arne-quinze/

Bien plus qu’un invité d’honneur de la dernière édition de la BRAFA, Arne Quinze est surtout un plasticien reconnu sur la scène artistique internationale pour ses installations et peintures monumentales. Grand amoureux de la nature, il reconnaît à la nature toute sa puissance et sa beauté qu’il affectionne non seulement dans le jardin chatoyant de son sweet home à Laethem Saint-Martin, charmant petit bourg de la banlieue aisée de Gand mais aussi à travers son œuvre et son discours sur l’environnement et le dérèglement climatique sortant des sentiers battus. Rencontre avec ce fervent admirateur des Nymphéas de Monet.

Comment procèdes-tu lorsque tu es contacté pour un projet d’installation dans une ville ou un lieu un insolite ?

Quand il y a une demande ou une commande, j’essaie de savoir si je suis sur la même longueur d’onde avec la ville, le musée ou le client en général. Deuxièmement, on refuse beaucoup de projets pour la simple raison qu’il n’est pas utile de mettre des installations et des sculptures de manière pérenne ou éphémère un peu partout dans le monde. Nous cherchons avant tout le meilleur endroit pour obtenir le meilleur résultat. La question n’est pas seulement de faire plus beau mais d’enrichir la ville, de lui offrir un pôle de communication. On vit, en majorité, entre quatre murs. Beaucoup d’enfants ne perçoivent pas ce que sont les quatre saisons, les fleurs sauvages, les papillons, les abeilles… Nous avons beaucoup de contacts derrière notre écran mais pas vraiment avec nos villes. Le jour où nous pourrons construire nos villes avec la même diversité que la nature, nous aurons des villes humaines. L’homme a souvent su construire des villes inhumaines, hostiles, ce que je n’ai toujours pas réussi à comprendre depuis mon enfance.

Tu cherches donc à aller au-delà de cette incompréhension entre la ville et la nature ?

Quand nous naissons, le contact que nous avons avec la vie, ce sont les quatre murs stériles blancs de l’hôpital. Vous allez à l’école, vous avez les quatre murs en brique du collège. Vous allez au boulot, vous avez les quatre murs en béton de l’entreprise pour finir par mourir entre les quatre planches de votre cercueil. Où l’être humain a-t-il raté la connexion avec la nature ? Nous avons toujours tendance à imposer nos murs et contrôler la nature. En tant que citoyen de cette planète, j’essaie, par le biais de mon art, de connecter ce dialogue entre les êtres humains et la nature.

Si l’on concède que l’Homme a vécu de nombreux millénaires en osmose avec nature, nous pouvons difficilement faire abstraction des innombrables innovations technologiques de ces deux derniers siècles…

Je ne suis pas contre cette évolution et le fait de construire vu que nous attendons un milliard de gens en plus d’ici quelques décennies. Mais je suis d’avis de changer notre manière de construire, de trouver comment vivre en harmonie avec la nature. Nos espaces publics doivent être meilleurs que notre salon ou notre double living. C’est là où nous vivons, c’est là où nous devrions communiquer la plupart du temps. La nature et la culture sont les deux piliers importants de notre existence, de notre éducation. Mais en réalité la très grande majorité des gens n’a ni l’un ni l’autre. Pour vous donner un chiffre, en ce qui concerne la visite des musées, je crois que nous arrivons à 80 millions d’entrées par an dans le monde entier (ndlr : 105M en 2019 avant la pandémie). C’est infime par rapport aux huit milliards d’habitants vivant sur notre planète. Où est-elle notre éducation à travers la culture ?

L’art a-t-il encore le pouvoir d’ouvrir les esprits ?

L’artiste vit dans un monde protégé. Il rentre en conversation avec des gens qui ont l’habitude d’être choqués ou embellis par l’art, mais ceux qui ne visitent quasiment jamais un musée, une institution culturelle ou n’ont jamais mis les pieds à l’opéra, vous obtenez une toute autre conversation avec eux lorsque vous commencez à travailler dans la rue. Le dialogue est beaucoup plus direct, plus cash. L’artiste n’est pas là pour émerveiller tout le monde. Son rôle, c’est d’interroger.

Et de convaincre ?

Ah non, je ne suis pas là pour convaincre ! S’il y a confrontation, je bouscule mais en beauté. Je veux parler de beauté à travers mes couleurs. Je provoque par le biais de la positivité. Il y a des gens qui sont sur les barricades. Moi, ma barricade, c’est la beauté de la couleur, la beauté de la nature. On peut parler de combat sans entrer dans une forme de radicalisme. C’est un combat heureux. Ce n’est pas parce que l’Homme à détruit 40 % de la faune et de la flore que je suis négatif. Je suis triste pour ça mais je crois en l’homme et je m’aperçois qu’il y a une campagne de sensibilisation de plus en plus importante auprès des gens.

N’as-tu pas l’impression que cet éveil ou cette sensibilisation, comme tu dis, auprès de la population est déjà en route depuis une bonne vingtaine d’années ?

Oui, bien sûr. Il y a une plus grande ouverture sur le sujet. Mais c’est encore très timide. J’ai pas mal de projets dans le monde, ce qui m’amène à voyager sur tous les continents plusieurs fois par an. J’ai remarqué que nous vivons un changement radical dans tout ce qui est sciences humaines, santé, économie. Il y a de moins en moins de pauvreté. On n’a jamais eu aussi peu de guerre malgré ce que vit l’Ukraine aujourd’hui. Si je devais résumer, je dirais que l’Homme va un peu mieux mais la Terre va moins bien. Néanmoins, l’Homme pourrait encore aller mieux s’il vivait en harmonie avec la nature. Par contre, s’il continue à tout détruire, il se détruira lui-même. Pour s’en sortir, il ne faut pas avoir peur d’ouvrir les yeux et d’embrasser toute cette beauté. Il faut être égoïste d’avoir des yeux fermés et de jouer l’aveugle.

Comment procèdes-tu lorsque tu entames un projet d’installation, de sculptures ou de peintures ?

En ce qui concerne mes tableaux, j’ai besoin d’être seul et d’avoir ce dialogue avec l’atelier. Pour les installations, c’est une autre approche. C’est déjà un travail en équipe. J’ai des collaborateurs qui me suivent depuis de nombreuses années, et je pousse souvent les limites de mes ingénieurs avec qui j’ai des discussions intenses. Une fois les discussions et les calculs terminés, tous les dessins, les plans de travaux et les maquettes se font ici chez moi avec eux et des architectes.

Pour l’instant, nous sommes en train de mettre en place une gigantesque installation au Caire. Que ce soit mon travail de sculpture ou d’installation, il se fait en lien avec l’environnement. Peu importe les dimensions. Je ne cherche pas le monumental pour le monumental. Dans la nature, il y a des petites fleurs et des grands arbres. J’essaie de capturer la force dans la fragilité et la fragilité dans la force.

Tu dis avoir conçu ta maison comme une maison de vacances…

Oui. On veut toujours être en vacances dans notre maison. Je pense que c’est important de se sentir en vacances en rentrant chez soi. Ma maison est incorporée à la nature. On laisse pousser les herbes et les plantes autour et sur la maison, ce qui permet une vie très rapprochée avec la nature. Nous avons planté environ 25 000 plantes et 25 000 bulbes, après ils vivent leurs vies. J’ai également beaucoup d’oiseaux dans le jardin qui m’apportent des graines. Ce jardin cultivé à la sauvage nous rend un sourire tous les jours. En mai-juin, c’est une explosion de couleurs. Le jardin est dans ma maison et le living est dans mon jardin. J’ai fait en sorte qu’il y ait un lien et une harmonie entre l’intérieur et l’extérieur. Nous avons besoin de couleurs dans notre vie. La plupart des villes sont grises voire ternes. On veut trop structurer.

C’est vrai que beaucoup de tes sculptures et de tes installations apportent de la couleur en ville mais elles sont souvent constituées d’aluminium, matière qui me paraît contradictoire avec la nature.

Le matériau que j’utilise est secondaire. Ce qui compte, c’est l’émotion que j’apporte dans la ville. J’ai réalisé une sculpture monumentale et pérenne à Paris-Porte de Versailles. Elle s’appelle Le Beau Rêveur. Elle représente un énorme bouquet de fleurs de quinze mètres de haut. En incorporant ce ballet de couleurs dans cet environnement morose et terne, ça donne de la beauté à tout le quartier. Si on ne regarde que la matière dont est fait ce bouquet, on risque de se fermer à de multiples émotions. Quand on lit un livre, on ne lit pas que des lettres, vous vivez une histoire, une aventure.

Le rouge a été à un moment de ta carrière très présente dans tes sculptures et tes installations. Pourquoi ?

Le rouge est pour moi une couleur pleine de contradictions, soit elle fait peur, soit elle attire. C’est le sang. Elle peut être à la fois le symbole de la vie et de la mort. On peut se chauffer les mains mais on peut aussi se les brûler. Cette couleur est un paradoxe à elle seule. Mais en réalité, toutes les couleurs m’attirent.

Y a-t-il un engagement politique dans ton travail en dehors d’apporter de la beauté dans une ville ou sur un tableau ?

Inconsciemment peut-être mais ce n’est pas le but en soi. Comme je le soulignais un peu plus haut, l’important c’est de retrouver du lien entre l’Homme et la nature. Sinon il y a cette anecdote où j’avais eu comme projet de réaliser une installation au-dessus du pont Boieldieu à Rouen. Nous avons eu droit à des manifestations de la part de la population pour empêcher la construction de Camille (ndlr : nom de l’installation) car cela risquait de bloquer le trafic entre les deux rives. Après moult négociations, nous avons obtenu gain de cause pour faire les travaux pendant trois mois. Une fois les travaux terminés, il y a eu plus de deux millions de visiteurs avant que l’installation soit démontée. Le plus surprenant, c’est qu’il y a eu après des manifestations mais pour que cette fois-ci elle soit conservée. Pour eux, elle était devenue partie intégrante du paysage et de leur quotidien. Nous avions réussi en quelque sorte à infuser chez eux cette petite graine de beauté et de couleur.


ARNE QUINZE EN 5 DATES

1971 – Naissance à Gand (Belgique)
2006 – Uchronia, installation monumentale et éphémère en bois montée lors du festival Burning Man à Black Rock City (Nevada)
2010 – Installation Camille sur le pont Boieldieu à Rouen
2014 – effondrement partiel d’une structure édifiée pour Mons, et remontée un an plus tard
2018 – Zócolo, installation pour Mexico City

BRAFA

Invité d’honneur : Arne Quinze
Brussels Expo I Heysel, Palais 3 & 4 (entrée)
Place de Belgique 1,
1020 Bruxelles, Belgique
www.brafa.art
Jusqu’au 26 juin  

Photo à la une : Arne Quinze dans son atelier – Credit Dave Bruel

En tant que citoyen de cette planète, j’essaie, par le biais de mon art, de connecter ce dialogue entre les êtres humains et la nature.

Arne Quinze