Portrait de Jean-Claude Golvin
Portrait de Jean-Claude Golvin

Jean-Claude Golvin

Peinture

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Jean-Claude Golvin, architecte, archéologue français et ancien chercheur au CNRS, allie son avis d’expert scientifique à son talent de dessinateur. Auteur de plus de mille dessins de restitution, réalisés à l’encre de Chine et à l’aquarelle, il est le premier spécialiste au monde de la restitution par l’image des grands sites de l’Antiquité. Né sous le ciel ensoleillé de Tunisie, il est dès son plus jeune âge passionné par le dessin et l’histoire. Entretien avec un passionné sur son exceptionnel parcours au cœur de l’histoire des civilisations

D’où vous vient ce désir de savoir à quoi ressemblaient les monuments et les villes de l’Antiquité ?

Le désir de représenter un monument ou une ville, un site antique dans son état originel de splendeur est une envie qui me traverse depuis mon enfance durant laquelle je visitais des sites archéologiques. Nous ne sommes pas satisfaits devant le spectacle des ruines parce que nous comprenons que ces choses avaient une vie. Je ne me contente pas de cet état de désordre et de désolation que les hasards de l’histoire nous ont livré. Plus précisément, j’ai remarqué qu’il y avait un désir plus profond, une donnée psychologique qui a joué dans mon travail. Je ne développerai pas ici mais cela se traduit par une recherche de l’image d’origine. J’ai soif de retrouver cette image matricielle. C’est un besoin bien plus qu’une envie, quelque chose qui me semble être nécessaire. Il est impossible pour moi de ne pas me mettre en route dans cette direction. Les ruines sont un très bon déclencheur pour cela.

Pour restituer les édifices anciens, vous alliez deux compétences, l’une artistique par votre l’étude du dessin en architecture et l’autre scientifique par l’apprentissage de l’archéologie. En quoi ces deux formations sont-elles complémentaires ?

La base de ma formation est l’architecture. Bien entendu, cet enseignement a une dimension artistique, mais c’est aussi une discipline rigoureuse dans le sens où elle comprend la statique, la résistance des matériaux, etc. Il y a des règles impératives et vous ne pouvez pas faire n’importe quoi.

La dimension artistique se situe dans la création du monument. Quelle allure va-t-on lui donner ? Comment va-t-on résoudre le problème de fonctionnement qui nous ait donné. Il y a bien l’aspect esthétique, mais il est lié à des règles impératives. Il s’agit d’un art déjà très discipliné.

La formation scientifique que j’ai suivi en archéologie comporte également des règles. Il faut faire des démonstrations. Le chercheur est tenu de prouver, de démonter. Dans ces deux voies, l’architecture et la recherche scientifique dans le domaine de l’histoire sont extrêmement cadrées. Nous n’avons pas la liberté de réaliser des œuvres fondées sur l’imagination débridée. Cela peut être très beau, mais ce n’est pas du tout la règle du jeu dans ces domaines-là.

Quelle méthode utilisez-vous pour restituer une image ?

Le domaine qui concerne mon activité est la restitution architecturale. Restituer veut dire rendre, redonner l’idée d’un monument ancien ou d’une ville ancienne par l’image. C’est-à-dire qu’il va falloir, par une méthode tout à fait rigoureuse où la démarche scientifique s’applique, rassembler toutes les connaissances, les arguments majeures fournis par les chercheurs qui maîtrisent très bien le site dont on parle. Ensuite, il va falloir rajouter par hypothèse tout ce qui manque dans l’image. Lorsque les secteurs n’ont pas beaucoup de vestiges, nous faisons appel aux exemples comparables et à la vraisemblance car nous connaissons l’époque et le style de l’architecture romaine. Nous savons suffisamment d’éléments pour pouvoir imaginer et proposer ce qu’il manque avec une marge de sécurité assez grande. Pour les villes, par exemple, il nous faut une idée du paysage dans lequel elles se trouvaient, de ses limites, de la trame urbaine, de la forme des grands édifices publics. Tout ceci a une position particulière parmi les signes déterminants qui sont présents dans les images que je produis

Vous utilisez donc le langage visuel pour la restitution. Quelle est la particularité de ce langage ?

Le langage visuel a des possibilités propres que ne possède pas le langage verbal. Le langage verbal comprend tout ce qui est écrit ou dit. Il s’agit d’un langage linéaire où les signes viennent les uns derrière les autres en file indienne. Il est très contraignant et ne donne pas une très bonne idée de l’espace, contrairement au langage visuel.

Sur un plan ou en suggérant la troisième dimension, le langage visuel quant à lui permet de juxtaposer les choses et de donner d’un seul coup d’œil énormément d’informations. C’est un appel frappant, très rapide et direct qui nécessite un effort de proposition bien plus important car rien ne peut rester vide ou dans l’inconnu. Il faut remplir l’image. Cet effort-là est celui qui affine l’idée car, étant obligé de remplir l’image, de ne rien laisser de côté, nous obtenons au finalement une idée beaucoup plus riche de ce dont on parle. Tout ceci constitue un modèle théorique.

Bien sûr, ce langage visuel a beaucoup de parenté avec le langage verbal auquel il ne s’oppose pas. Sa force de frappe est la plénitude avec laquelle il offre un modèle complet tandis que le verbal a l’avantage de la précision ; les deux sont donc nécessaires. Il faut dessiner ce que l’on ne peut pas écrire et écrire ce qu’on ne peut pas dessiner.

Comment définiriez-vous votre œuvre mêlant recherche scientifique et création artistique ?

Dans le domaine de la restitution, on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas création, car nous produisons une image qui sera la plus efficace par rapport au discours que l’on connait. Cette image est contrainte car on lui demande avant tout de présenter et d’expliquer quelque chose. Bien entendu, nous aurons affaire à des séquences d’images : une vue générale d’une ville, puis une vue plus rapprochée. On réalise la vue d’un quartier, puis d’un monument, conduisant l’observateur dans une rue, à l’intérieur d’une pièce et ainsi de suite. On raconte une histoire, mais à chaque fois avec l’intention d’être le plus efficace possible. Il faut que l’image parle plus que le texte. Si on pouvait tout dire en image, nous le ferions.

Toutes les figures métaphoriques existent en image. Quelle est l’image rapidement faite par un croquis qui va être la plus expressive ? Avec cette méthode, vous définissez tout d’un seul coup. Le reste est une amélioration progressive de l’image pour la rendre la plus réaliste, mais elle est créée au niveau de l’esquisse. C’est ici que se situe réellement la création.

Vous avez réalisé à ce jour plus de mille dessins de restitution, à l’encre de Chine et à l’aquarelle. Le rendu est d’une extraordinaire précision et justesse. Pourquoi privilégiez-vous le pinceau plutôt que la souris d’ordinateur ? Quel avantage présente-t-il ?

La restitution est née à travers mes mains et mon cerveau plutôt que par le biais de l’imagerie électronique et d’une image de synthèse. J’ai pris de l’avance. Je travaillais déjà de cette façon avant que ces techniques apparaissent, et quand elles sont apparues, j’ai été leur allié, et pas hostile. Au contraire, je faisais même partie des directeurs de laboratoire qui ont promu l’imagerie électronique. Simplement, j’ai bien perçu que je n’avais pas le temps de me former dans ce domaine, que je ne serai jamais aussi bon que celui qui travaille avec ces techniques toute la journée.

En revanche, j’étais performant dans l’autre domaine, celui du dessin à la main, qui a toujours été mon point fort. L’image dessinée est rapide et efficace, et son deuxième avantage est qu’elle vieillit mieux. J’ai pu constater qu’avec l’image 3D de synthèse, il y a un vieillissement lié à la technologie qui devient rapidement obsolète. Les supports pour la diffuser disparaissent, y compris ceux pour la conserver. L’image se démode très vite. Je n’oserais plus montrer les images produites comme pour la restitution du temple de Karnak sur ordinateur en 1990. Aujourd’hui, nous ne pouvons montrer cela qu’en disant au préalable « Attention ! Nous étions à la préhistoire de l’imagerie électronique ».

Vous vous adonnez aujourd’hui à un autre langage, celui de la bande dessinée. Pourquoi avoir choisi ce nouveau mode d’expression ?

La bande dessinée me tente maintenant, même si cela remonte à un désir d’enfance. Très jeune, j’aurais aimé dessiner dans ce domaine, et en faire mon métier. J’aimais beaucoup ce médium que je pratiquais pour mon propre plaisir. Des efforts intéressants sont à faire ici au niveau de la maîtrise du langage visuel. Je suis intéressé par ce que j’appelle la « bulle-image ». Si nous pouvons mieux dire dans une bulle, par une image, ce dont il s’agit (ce que le personnage pense, décrit ou évoque), mieux vaut le dessiner que de l’écrire.

Nous passons du rôle d’historien qui défriche les textes et discute avec des chercheurs à celui de metteur en scène. Car le premier travail ici est de mettre en scène les personnages. L’architecture qui était le sujet dominant devient davantage le décor dans lequel évolue des personnages. La difficulté est de bien les dessiner, et surtout de bien exprimer ce qu’ils ont à dire par leur gestuelle. Quels sont leurs gestes ? Dans quelle position relative les place-t-on ? Quelles expressions ont-ils ? Il faut faire attention à ce que les visages, mains et attitudes ne soient pas contradictoires. Tout doit être en harmonie pour communiquer efficacement.

Selon vous, où se situe le geste créatif dans le travail d’un artiste ?

La grande question de savoir où se situe l’art… Je pense qu’il se trouve beaucoup plus dans la manière de traiter un sujet que par le choix de ce dernier. Il y a très peu de sujets originaux. Pratiquement tout a été dit, il s’agit toujours d’un homme ou une femme, de leurs identités, leur histoire d’amour… L’art se situe dans la façon de traiter la chose.

Quel est l’artiste qui vous inspire dans votre démarche artistique ?

Parmi les artistes que j’aime beaucoup, il y a le Titien car il est classique et idéaliste mais sans excès. Ses œuvres sont en équilibre, rien n’est figé. C’est une belle harmonie. Si je devais parler de celui qui m’inspire pour faire cette imagerie évoquant l’antiquité, j’évoquerais donc plutôt Titien car il représente pour moi le sommet. D’autres sont géniaux. Caravage est génial mais il y a du mouvement, de l’emphase. C’est un style où l’action et l’expressivité relèvent de la mise en scène. Pour la maîtrise de la couleur, je pense à Gauguin mais je n’en ai pas vraiment besoin dans ce que j’explore. Je serais plus proche du Titien que de Gauguin car son travail est plus proche du discours que j’ai à tenir.

Comment définiriez-vous un chef-d’œuvre ?

Les grands chef-d’œuvres vous mènent vers le sublime. On s’élève puis on finit par être ravie et comblé. Cette sorte de grande séduction nous mène plus haut. C’est là qu’est l’art, difficile et subtile. Avec très peu d’écart, on peut faire un chef d’œuvre ou un travail raté. Quand la force d’inspiration, l’équilibre, l’idée, l’originalité sont perceptibles, tout finit par fonctionner et tout devient harmonieux, c’est magique. Lorsqu’on ré-écoute par plaisir une œuvre musicale, la magie se reproduit à chaque fois car l’art est présent pour recréer ces conditions de transmission d’un message plus élevé. C’est une petite chose qu’on a sous les yeux, une feuille de papier, un tableau au mur… et pourtant ça nous projette extrêmement loin.

Quel est le rôle de l’art dans nos sociétés ?

Le travail dans le domaine de la restitution vise avant tout à éduquer, informer et faire découvrir une époque. C’est une image plutôt réaliste puisque vous êtes forcé de la rendre la plus proche possible de ce que l’on aurait pu voir. C’est tout le problème que pose le traitement de l’histoire. On ne peut pas être entièrement fidèle à la réalité historique. Je ne vais pas faire parler mes personnages en latin, cela restreindrait mon public. Et puis quel latin ? Il n’y a pas d’autre solution que d’adapter l’évocation d’une période de l’histoire dans un langage actuel. Cela veut dire que ce que je raconte doit être lié à la véritable histoire.

Pourquoi l’art est important si important ?

L’art est quelque chose d’extrêmement important car s’il n’y avait pas d’art, je crois que nous pourrions mourir tout de suite. Plus rien n’aurait vraiment de sens finalement. Toutes les minutes de notre existence ne sont pas forcément exaltantes. Par moment, nous avons besoin d’être face à des choses plus riches qui donne du sens. Il n’y a que l’art qui puisse nous donner ces moments d’émerveillement, cette envie de s’arrêter quelque peu et de résumer au fond les choses qui nous parlent car elles agissent sur nous. Cela nous aide à supporter la monotonie, la tristesse, les grands problèmes philosophiques pour lesquels nous n’aurons pas de réponse avant longtemps. Il est notre allié, comme une mère affectueuse qui serait là pour tous nous apporter un peu d’amour. Voilà, à mon avis, où se trouve l’art. Je crois qu’il est indispensable à la vie.

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Quand la force d’inspiration, l’équilibre, l’idée, l’originalité sont perceptibles, tout finit par fonctionner et tout devient harmonieux, c’est magique.

Jean-Claude Golvin