Portrait de Fred Forest
Portrait de Fred Forest

Fred Forest

Art Digital

https://artinterview.com/interviews/fred-forest/

Artiste du multimédia et des réseaux, Fred Forest est un des pionniers de l’art vidéo (dès 1967) puis du Net.art (1996). Orientant sa pratique artistique vers le champ des nouveaux médias et des technologies de la communication, il conçoit dès 1968 des environnements participatifs et interactifs. Tous les supports de communication sont alors intégrés à ses oeuvres et actions : presse écrite, téléphone, fax, radio, télévision, cinéma, video et, bien sûr, toutes les possibilités du web. Son exposition au Centre Georges Pompidou parcourt l’ensemble de son oeuvre en s’appuyant sur la notion de “territoire”. L’œuvre de Fred Forest nous transporte dans un monde entre matériel et virtuel, réel et imaginaire. L’artiste autodidacte nous reçoit chez lui pour un entretien sur son parcours mené hors des institutions.

D’où vient votre amour pour l’art ?

L’amour de l’art m’est venu grâce à une de mes tantes algériennes artiste-peintre que je voyais le dimanche à la campagne. J’ai commencé petit à petit, en tirant sur un fil, comme une pelote de laine et je suis arrivé à réaliser tout ce que je souhaitais accomplir, dont l’exposition « L’homme-média » au centre Pompidou.

Pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots ?

Mon parcours commence par la peinture. Je me définis à présent comme un peintre raté car j’ai abandonné très vite la peinture pour me consacrer à des formes d’expression qui comprenaient de nouvelles procédures à mettre en œuvre, grâce à de nouveaux outils. J’ai travaillé avec le téléphone, la vidéo, les journaux, la télévision et enfin, bien sûr, avec internet et Seconde Life. Aujourd’hui, je travaille dans le domaine du virtuel.

Comment vous est venu l’idée d’utiliser les supports de communication dans votre art ?

L’idée m’est venue d’utiliser les outils de la communication à partir du moment où j’ai senti que ce que je faisais en peinture était mort dès que cela était signé. En effet, la signature intègre l’artefact comme objet culturel et n’a plus la possibilité d’intégrer de nouvelles informations. Je suis donc passé au tableau écran, avec des surfaces peintes sur lesquelles je projetais des diapositives et des films avec du matériel que je pouvais renouveler. Par la suite, je me suis demandé pourquoi je me limitais à rester sur une surface. J’ai donc pensé que l’art pouvait aussi se faire d’une façon immatérielle dans le lieu de l’information. En 1972, j’ai donc utilisé la presse et publié dans le journal Le Monde un espace blanc où j’invitais les gens à s’exprimer. Il s’agissait, par ailleurs, d’une œuvre participative tirée ce jour-là en 470 000 exemplaires.

Par le biais de ce medium, que voulez-vous exprimer ?

Je souhaite communiquer ce qui est important pour moi, mon ressenti, mes idées car cela appartient à ma personnalité qui est celle du partage. Je veux donc partager, et la meilleure façon de le faire est d’utiliser l’art.

Quels sont les artistes qui vous ont inspiré dans votre approche de l’art ?

J’en ai plusieurs et aucun à la fois. C’est paradoxal car m’ont inspiré à travers l’histoire de l’art des personnalités comme Cézanne, Picasso ou Bosch et son Jardin des Délices que j’ai vu au musée du Prado. Je n’ai pas d’artistes préférés, mais j’ai tout de même une grande admiration pour des gens comme Christo. Pas tant pour ce qu’il a fait, mais pour les environnements qu’il a médiatisé. Il a lui aussi utilisé les systèmes de communication de façon très intelligente en créant une économie de l’art à travers lui. Ce sont des artistes que j’admire pour leur savoir-faire et leur capacité de diffusion de ce dernier du point de vue social.

Christo a lui aussi utilisé les systèmes de communication de façon très intelligente…

Définiriez-vous votre travail comme un art ?

C’est plus que de l’art. Souvent je me pose la question de savoir si je ne suis pas un philosophe, un artiste n’est-il pas un philosophe en acte ? Le philosophe a un crayon, des feuilles de papier et il écrit. Je fais la même chose en faisant prendre conscience de notre environnement social et de notre existence à travers le mouvement de l’esthétique de la communication. Ce mouvement artistique a pour but de montrer en quoi les nouvelles technologies de communication et transmission de données, en somme la société de l’information, modifient notre rapport au réel, à la réalité, au temps et à l’espace. Nous sommes dans un bain déformation auquel nous sommes liés.

Pour vous, qu’est ce qu’un chef-d’oeuvre ?

Je n’en connais pas. C’est pour moi une œuvre aboutie en ce sens qu’elle n’est pas l’expression de celui qui la réalise mais celle de celui qui la reçoit. Pour moi c’est ce que signifie un chef-d’œuvre. Il y a autant de chefs-d’œuvre que d’œuvres d’art et d’individus pour les recevoir.

Un artiste n’est-il pas un philosophe en acte ? 

Quel regard portez-vous sur l’art contemporain ?

L’art est pour moi tout ce qui donne sens à la vie de chacun. Dans l’art contemporain, on ne trouve malheureusement pas de recherche. Ce sont des répétitions remisent au goût du jour alors que, pour moi, cela devrait être une recherche permanente, comme elle doit l’être pour l’individu.

Selon vous, comment un artiste peut-il vivre de son art aujourd’hui ?

Un artiste doit se nourrir et subvenir aux besoins de sa famille et ses enfants. Il a donc besoin d’avoir des dividendes qui entrent. Mais l’art ne se vend pas au premier niveau. Il se vend quand il est consommé par les institutions et le marché de l’art. Pour les artistes, tout le problème est de trouver ces cautionnements. Cela entraîne souvent une perte d’intérêt pour l’art car ce sont les mécènes qui deviennent artistes. Par leur propre goût, ils conditionnent les créations artistiques.

La création n’a jamais été si libre, utilisant toutes sortes de médias. Cependant, face à un marché de l’art contemporain rude qui dicte souvent les codes, l’artiste peut-il, selon vous, rester libre ?

Cela dépend des artistes. Certains sont libres, quelques uns essaient et d’autres sont prisonniers des institutions et du marché de l’art. C’est dans cette gamme de possibilités que l’artiste existe et peut se prévaloir d’être libre ou pas. En toute modestie, j’estime que je suis libre. Je viens d’exposer au centre Pompidou alors que je leur ai fait un procès qui a duré plusieurs années pour manque de transparence. Ce ne sont pas eux qui m’ont invité à faire cette exposition mais mes stratégies de communication m’ont amené à leur imposer ma présence. C’est ma plus belle œuvre d’avoir fait cette exposition car j’ai imposé à l’institution mon point de vue sans qu’elle m’impose son pouvoir.

Certains sont libres, quelques uns essaient et d’autres sont prisonniers des institutions et du marché de l’art. 

Un mot sur cette exposition « L’homme-média » au Centre Pompidou ?

Je suis très content car peu d’artistes ont cette possibilité extraordinaire d’exposer dans une institution prestigieuse mais j’estime malgré tout avoir été lésé. Je ne pense pas en être victime, mais je suis lésé par les responsables du musée qui m’ont donné un créneau en plein été et qui ont contre mon gré raccourcis de quinze jours l’exposition. Tout au long de la préparation, on ne m’a pas véritablement donné les moyens administratifs ou financiers pour la réaliser. Je ne suis pas tout à fait récupéré par l’institution. Je continue ma lutte contre elle et les autres en faisant une pétition dans laquelle j’invite les créateurs et artistes à être libres, en faveur d’un art participatif et libre.

Selon vous, pourquoi l’art est-il important dans nos vies ?

On a besoin d’art pour se sentir vivre. Les artistes nous donnent à voir des choses que le commun ne voit pas. Quand Marcel Duchamp prend un porte bouteille et l’expose, cela devient une œuvre d’art et change notre regard. Les artistes sont importants car ils apprennent à regarder. Quand les gens sauront correctement faire cela, nous n’auront plus besoin d’art.

Les artistes nous donnent à voir des choses que le commun ne voit pas. 

De quoi rêvez-vous à présent ?

J’ai plusieurs rêves. Il me faut choisir entre ceux que je veux réaliser mais comme je veux tous les concrétiser, je suis encore dans l’embarras du choix…

L'idée m'est venue d'utiliser les outils de la communication à partir du moment où j'ai senti que ce que je faisais en peinture était mort dès que cela était signé...

Fred Forest