Portrait de Elias Crespin
Portrait de Elias Crespin

Elias Crespin

Sculpture

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Première œuvre cinétique au musée du Louvre : l’artiste Elias Crespin a été invité à concevoir une sculpture pérenne au sommet de l’escalier du Midi, à l’angle sud-est de la cour Carrée. Guidée par un ordinateur, L’onde du midi, composée de 128 tubes métalliques, s’anime dans un mouvement ondulatoire au rythme aléatoire, créant une chorégraphie poétique et aérienne passant de l’ordre au chaos… Honoré d’exposer au Louvre, l’artiste d’origine vénézuélienne s’inscrit désormais dans la lignée de grandes figures de l’art contemporain qui ont investi le Palais, comme Anslem Kiefer, François Morellet ou encore Cy Twombly.

Comment avez-vous reçu une commande d’un décor pérenne pour le musée du Louvre ? Racontez-nous.

En 2018, j’ai exposé au Grand Palais dans l’exposition Artistes et Robots grâce à Miguel Chevalier qui avait proposé mon nom aux commissaires de cette exposition ; Jérôme Neutres et Laurence Bertrand Dorléac ont accepté cette invitation en me proposant comme place la tour de l’escalier d’honneur du Grand Palais.

Ce lieu était un défi technique pour installer mon œuvre parce qu’il n’y avait qu’un seul point de suspension pour un espace volumineux. Pour que l’œuvre ait sens dans cet espace, il fallait qu’elle soit grande. Et c’est cette œuvre-là, Grand HexaNet, que la direction du musée du Louvre a vu lors de sa visite à l’exposition Artistes et Robots au Grand Palais, et a fait naître l’idée d’avoir une œuvre similaire au Palais.

Quelles sont les caractéristiques de votre travail qui devaient s’exprimer pour s’inscrire dans ce cadre aussi structurant, formel et prestigieux que le Louvre ?

En général, je travaille la géométrie très simple, des lignes, des cercles, même des triangles, des carrés… Je les aligne, je les mets ensemble, je les fais concentriques, les uns dans les autres… Donc ce sont des formes souvent épurées, simples et élégantes en entendant le terme élégant comme l’aboutissement d’un objectif, avec le moins de ressources possibles. J’utilise le minimum de ressources visuelles : la ligne dynamique, simplement, pour explorer le monde du mouvement et de la matière qui se déplace dans le temps.

J’utilise le minimum de ressources visuelles : la ligne dynamique, simplement, pour explorer le monde du mouvement et de la matière qui se déplace dans le temps.

L’architecture classique et la lumière du Palais ont-ils été deux éléments déterminants pour concevoir L’onde du midi ?

Dans ce contexte-là, il y a des colonnes. Je me disais que je devais faire une œuvre comprenant des cylindres, et j’avais plusieurs idées. Celle-ci était la plus efficace pour la placer avec une plateforme au plafond, rectangulaire, très épurée et intégrée le plus possible à l’architecture ; ce sont les conditions qui m’ont permis de déterminer le choix du panneau flexible et ondulant ainsi que la couleur contrastant avec le ton très doux de l’espace architectural.

Vos créations questionnent les concepts de forme, d’espace, de mouvement et de temps… Cherchez-vous à rendre visible l’invisible, à donner à voir l’abstraction ?

Je fais de la « réalité virtuelle réelle » ; toutes ces danses sont imaginées par moi, et enregistrées ensuite dans la mémoire de l’ordinateur. C’est une chose que l’on ne voit pas ; l’œuvre est enregistrée. Donc comme vous le disiez, il est une chose invisible. C’est un logiciel qui tourne dans le système d’un ordinateur, mais ce logiciel peut générer des signaux électriques qui arrivent par tout le circuit au moteur, et fait bouger le moteur en relation avec cette danse enregistrée ; et là, à leur tour, les éléments suspendus du moteur s’animent pour produire cette danse invisible qui est dans un ordinateur.

Je fais de la « réalité virtuelle réelle » ; toutes ces danses sont imaginées par moi, et enregistrées ensuite dans la mémoire de l’ordinateur.

La présence de la technologie numérique qui anime l’œuvre pose-t-elle, selon vous, la question de sa fiabilité et de sa durabilité ?

Première chose, on a mis en place des procédures d’entretien et de dépannage avec le service du musée qui va prendre en charge l’œuvre. Il y a des entretiens très basiques comme le dépoussiérage, puis des entretiens plus techniques mais faisables. Après, il y a l’obsolescence des composants, et ça, on ne peut pas prévoir à l’avance l’adaptation. Par exemple, l’œuvre est reliée et commandée à distance par wifi. On arrête l’œuvre et on la démarre par wifi.

Dans cinquante ans, est-ce que le wifi existera encore ou pas ? On ne sait pas, mais il y aura un chemin d’évolution entre le wifi et le prochain système de communication sans fil. On aura les autorisations de ma part et les procédures pour faire ces adaptations.

Cette œuvre est représentative de votre démarche qui allie deux univers : art et science. Comment est née, dans votre travail, cette rencontre entre l’approche scientifique et la création artistique ?

J’ai fait de l’informatique à l’école, puis j’ai fait beaucoup de mathématiques, de graphications à l’ordinateur. Et un jour, je suis tombé devant le Cubo virtual de Jesus Rafael Soto lors de la visite d’une exposition rétrospective de ma grand mère, Gertrud Goldshmidt, au musée des Beaux-Arts de Caracas. Il se trouvait dans le palier de l’escalier au premier étage, à l’extérieur de l’exposition, et face à ce cube, je me suis dit “c’est magnifique”.

J’ai fait la liaison entre ce cube que je voyais comme un espace tridimensionnel dans lequel des fonctions pouvaient se graphiquer et la façon dont on peut changer le temps afin de créer un mouvement ; je me suis dit “peut-être que j’ai quelque chose dans la main”. 

L’onde du midi est-elle en rupture ou dans le prolongement de l’art cinétique ? Témoigne-t-elle la volonté d’ouvrir une nouvelle brèche ?

Je crois que c’est une évolution de l’art cinétique. Ce pas évolutif dans mes œuvres, je l’ai eu en regardant le Cubo virtual de Jesus Rafael Soto. Je pense que L’onde du Midi est à la fois en rupture et en continuité de l’art cinétique.

Que souhaitez-vous offrir au public ? La surprise, l’étonnement, un moment de délectation ou de réflexion ?

La conception de mon œuvre résulte de mon expérience, de ma perception, de mon désir de mouvement, de danse, de sensualité visuelle. Et là je m’arrête. Je sais, évidemment que cette perception va avoir un écho, une résonance chez le visiteur ; mais je ne cherche pas à produire un effet ou à imposer une expérience particulière. Je présente mon œuvre, mon idée et je laisse les choses se passer…

Pour un artiste contemporain, la commande d’une œuvre pérenne par le musée du Louvre est un événement rarissime. Quel est votre ressenti ?

C’est un honneur… c’est le rêve d’un artiste. Avoir toute une organisation muséale qui va veiller sur mon œuvre, présentée de cette façon spectaculaire, pour toujours, c’est incroyable… Ars longa, vita brevis [ L’art est long, la vie est brève ].

J’espère, en tant qu’artiste, inspirer les gens, les motiver à faire des choses constructives et leur donner de l’espoir. Et l’espoir, c’est très important, c’est fondamental…

Selon vous, pourquoi l’art est important dans nos vies ?

Je pense que l’art est une façon de s’exprimer dans un langage propre qui peut avoir beaucoup de manifestations différentes selon l’artiste. Moi, j’ai choisi cette façon de présenter ma réflexion intérieure, mes capacités et mon humanité. J’espère, en tant qu’artiste, inspirer les gens, les motiver à faire des choses constructives et leur donner de l’espoir. Et l’espoir, c’est très important, c’est fondamental…

La conception de mon œuvre résulte de mon expérience, de ma perception, de mon désir de mouvement, de danse, de sensualité visuelle.

Elias Crespin