Portrait de A. Antolini – C. Durox – S. Chartier
Portrait de A. Antolini – C. Durox – S. Chartier

A. Antolini – C. Durox – S. Chartier

Curateurs

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À l’occasion du centenaire de la mort d’Auguste Rodin, l’exposition « Quand Rodin vivait à Bruxelles » au White Atrium, met en lumière sa période bruxelloise, peu connue, et pourtant si fondamentale dans la formation et le parcours de l’artiste. À l’âge de trente-et-un ans, Auguste Rodin s’installe en Belgique et va y vivre pendant six ans. Cette exposition présente des reproductions d’œuvres du musée Rodin, documents photographiques et historiques. Le White Atrium prendra le nom de White Atrium-Espace Rodin conservant ainsi la mémoire de la présence du grand artiste dans la capitale. Entretien avec André Antolini, mécène de l’exposition, suivi d’un dialogue entre Cyrielle Durox, commissaire de l’exposition, et Sophie Chartier, producteur culturel.

Pourquoi vous-êtes vous orienté dans le mécénat ? Et plus particulièrement, comment vous est venue l’idée de mécéner l’exposition « Quand Rodin vivait à Bruxelles » au White Atrium ?

André Antolini : Le mécénat est une orientation que j’ai choisi et que j’ai exercée dans différents domaines ; je voulais que cette activité professionnelle déployée durant de longues années ait une utilité générale. Dans le cadre de cette exposition, j’ai souhaité relier une passion que j’ai pour le bronze avec une activité que j’exerce ici, puisque je suis le président du White Atrium. La société ne m’appartient pas, je n’en suis que le président, mais j’ai convaincu les actionnaires que nous pouvions partir de l’histoire même de cet endroit, puisque Rodin avait exposé en 1899 dans une galerie d’art. J’ai donc rencontré la directrice du musée Rodin, Catherine Chevillot, qui m’a tout de suite apporté son soutien, puis, Sophie Chartier ainsi que Cyrielle Durox qui m’ont beaucoup aidé pour réaliser cette opération.

Quelle est votre relation à l’art ?

A-A : Mon approche personnelle de l’art est d’une certaine façon, assez égoïste. En dehors des actions de mécénats qui, elles ne le sont pas vraiment, j’aime vivre dans une ambiance artistique. La peinture, la sculpture sont vraiment au cœur de ma vie. Ce que j’aime, c’est vivre entouré de belles choses, je trouve que ça apporte quelque chose qui change l’être humain.

Rodin a marqué la sculpture contemporaine. En s’affranchissant de l’académisme du XIXème, et avec les polémiques que ça a soulevé, il a donné un élan à Brâncuși et à tant d’autres. Il a permis à tous ses successeurs de s’exonérer de cette institution. D’ailleurs, bien des œuvres de ses successeurs portent des titres qui sont des titres d’œuvres de Rodin comme par exemple, L’homme qui marche de Giacometti, on sent l’affiliation qui est évidente.

L’art m’aide à vivre, je vis avec l’art, et comme je suis, théoriquement, légèrement à la retraite, c’est donc devenu aussi une façon de vivre.

Comment est née l’exposition “Quand Rodin vivait à Bruxelles” ?

Sophie Chartier : “Quand Rodin vivait à Bruxelles” est une exposition qui est née de l’initiative d’André Antolini, président du White Atrium. Je l’ai rencontré il y a quelques semaines, nous avons donc eu très peu de temps pour monter ce projet. Cette exposition a pu se monter grâce à l’aide du musée Rodin qui s’est mobilisé à nos côtés.

Nous nous sommes donc mis au travail formant un véritable duo avec Cyrielle Durox, commissaire de l’exposition, qui a travaillé d’arrache-pied pour évoquer les années Rodin à Bruxelles et les liens entre l’artiste et la Belgique. De mon côté, j’ai assuré la production de l’exposition et puis mobiliser la presse.

Cyrielle Durox, en tant que curatrice, quel était votre objectif en organisant cette exposition dans un espace restreint et inattendu, le hall d’un immeuble de bureaux ?

Cyrielle Durox : L’objectif était de s’adresser au plus large publicain étant didactique dans notre approche, et donc évidemment, nous voulons d’abord présenter Rodin ; qui était-il, quand a-t-il vécu, ce qu’il faisait ? C’est un grand sculpteur connu à travers le monde, mais nous ne connaissons pas toute la vie de cet artiste ; donc ce fut la première étape.

Le fait que l’exposition se situe dans un immeuble de bureau, dans un lieu de tous les jours, du quotidien, c’est aussi important car l’art ne doit pas être systématiquement sanctuarisé, réservé à un lieu particulier où il faut faire une démarche, franchir une porte. Cela m’a vraiment beaucoup séduite.

Puis quel angle avez-vous suivi pour présenter ce géant de la sculpture ?

C-D : Ensuite, j’ai écouté la demande de M. Antolini et Mme Chartier qui était de parler spécifiquement de Rodin et de ses liens avec la Belgique, ils sont beaucoup plus forts et importants que l’on pourrait l’imaginer, tout simplement parce que Rodin a vécu six ans en Belgique, à Bruxelles, entre 1871 et 1877. À cette époque, Rodin n’est pas connu, ce n’est pas un grand artiste, tout simplement parce qu’il n’a pas réussi à emprunter la voie royale, qui est l’école des Beaux-arts permettant de pouvoir être un grand artiste officiel. Par conséquent, il travaille dans l’atelier d’autres sculpteurs pour gagner sa vie. Donc, lorsqu’il arrive à Bruxelles pour suivre un de ces employeurs, il est anonyme et a, je dirais, soif de travailler, de découvrir, de faire ses preuves, ce qui fait l’intérêt de cette période bruxelloise.

En France, les choses étaient un peu cadenassés, verrouillées. Peut-être a-t-il senti qu’en Belgique, tout était possible, qu’avec la force, la hargne suffisante, il pourrait créer lui-même son propre destin. Et c’est ce qui s’est produit, puisqu’en 1877, juste avant son départ, il crée sa première grande sculpture, celle qui s’appelle L’âge d’Airain, et malgré la polémique qu’il y aura autour de cette sculpture, c’est vraiment l’œuvre qui va le faire connaître.

Son séjour de six ans à Bruxelles a impulsé sa vie artistique. Comment est-il, par la suite, devenu l’artiste international que l’on connaît ?

C-D : Au-delà du séjour de six ans, il faut savoir qu’entre 1880 et 1900, la notoriété de Rodin ne cesse de croître, jusqu’à ce qu’il devienne vraiment un artiste international et connu, et je n’exagère pas du tout en disant cela ; il recevait, dans son atelier, des personnes venant du monde entier, il avait des courriers de fans qui arrivaient sans cesse et il était obligé de recruter des secrétaires pour répondre à ses courriers.

En 1899, il est sollicité pour faire une exposition ici, à Bruxelles. C’est donc un honneur qui lui est fait, même si c’est un grand artiste, car cette exposition va être dédiée uniquement à sa création ; plus de cent vingt œuvres, soixante-cinq sculptures en plâtre, une soixantaine de dessins, des photographies. L’ampleur de cet événement est très importante. Ce que je trouve absolument moderne, c’est le fait que cette exposition deviendra par la suite itinérante et poursuivra son chemin dans trois villes en Hollande ; même à l’heure actuelle, c’est assez rare.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

S-C : Ce qui était extrêmement séduisant dans ce projet, c’est le contenu fort de l’exposition. Je ne connaissais pas cette histoire. Les textes de Cyrielle Durox sont extrêmement didactiques, très accessibles à tout public, et d’ailleurs nous en avons le témoignage depuis hier, l’exposition a été inaugurée hier et le public est enthousiaste. Donc nous racontons une histoire à très fort contenu qui est un jalon extrêmement important dans la carrière d’un artiste en formation puisqu’on peut considérer que la période, de 1871 à 1877, est encore la période d’apprentissage d’Auguste Rodin ; Il se décrit à se moment là comme un ouvrier, et un artisan, ce que je trouve absolument magnifique, quand on voit le maître qu’il est devenu… Et le public est conquis et les gens disent ; ‘Je ne connaissais pas cette histoire, vous avez révélé cette histoire, grâce au musée Rodin’. Je crois que c’est une exposition très émouvante.

Réaliser une exposition, c’est raconter une histoire… Quel a été l’aspect le plus attrayant dans l’écriture de ce récit ?

C-D : Ce qui était important pour moi, c’était de présenter un artiste sous une perspective qui me tient à cœur ; Cet homme qui a finalement réussi à percer très tardivement, seulement à l’âge de 40 ans. C’était un homme issu d’un milieu populaire, qui n’avait pas de parents artistes, pas de parents bourgeois, il n’était pas bon non plus à l’école, et était myope, il avait donc certaines difficultés, mais il aimait beaucoup lire ; c’était un homme riche de sa propre recherche de culture, mais qui n’était pas dans les moules classiques. Et finalement, il a réussit à abattre les murs simplement grâce à la force de ses convictions. C’est cela que je voulais montrer, je voulais montrer la personnalité d’un homme déterminé qui va jusqu’au bout de ses rêves contre l’avis du plus grand nombre. Je pense que c’est ça qu’il faut en retenir, au-delà de simplement ses œuvres, c’est la détermination et le fait que chacun peut créer son propre destin grâce à sa volonté.

Comment mettez-vous cette exposition en perspective  dans notre temps ?

S-C : La mise en perspective de cette exposition dans notre temps, je la vois au travers du prisme de mon activité, c’est-à-dire que je suis extrêmement intéressée de voir la manière dont Rodin, jeune, commence à créer, vivre, diffuser son œuvre, à côté des travaux de commande qu’il faisait pour Carrier-Belleuse et ensuite avec Vanras Bourg. L’exposition révèle aussi que tous les artistes de tout temps ont eu ces questions de production de leur œuvre, de diffusion, de lieu, de moyens, et effectivement, comme l’a rappelé Cyrielle Durox, il y a une modernité incroyable à organiser cette exposition en 1899 qui par le hasard de la vie va se retrouver être une exposition monographique, qui va ensuite être diffusée. Cette exposition met en lumière aussi toutes ces questions qui, certes, sont certainement moins brillantes que la création elle-même, mais qui en fait sont essentielles à la création. Rodin est confronté à ces questions-là, et va les régler avec la force qu’on lui connaît.

Puis évidemment, sur le plan artistique et de l’histoire de l’art, et de son influence, il a énormément apporté, il crée une rupture et apporte la modernité ; on voit une évolution dans l’exposition de ses toutes premières sculptures, très influencées par le XVIIIe siècle, jusqu’à Un des bourgeois de calais, qui selon moi, est une des plus belles œuvres que nous présentons et qui marque, effectivement, ce Rodin brillant, qui a quitté tout académisme et qui va ensuite être le maître pour de très nombreux sculpteurs du début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui.

L'art, c'est la plus sublime mission de l'homme, puisque c'est l'exercice de la pensée, qui cherche à comprendre le monde et qui cherche à le faire, comprendre.

Auguste Rodin