Portrait de Alex Mlynárčik
Portrait de Alex Mlynárčik

Alex Mlynárčik

Plasticiens

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Alex Mlynárčik (né en 1934 en Tchécoslovaquie) est l’un des rares artistes slovaques a avoir eu un impact sur l’art occidental. Sa rencontre avec le théoricien d’art français Pierre Restany, fondateur du « Nouveau Réalisme » en 1960, a été un tournant important dans la vie de l’artiste. Photographe de formation, Alex Mlynárčik devient un protagoniste de la «tendance slovaque» du Nouveau Réalisme qui adopte deux idées fondamentales : l’appropriation de la réalité et la réaction et participation du public. Alex Mlynárčik organise une série de grands projets, en Slovaquie mais aussi à Paris et acquert une notoriété artistique internationale. L’artiste nous reçoit dans la galerie Lara Vincy, où se tient actuellement son exposition Tentation. Rencontre avec le leader slovaque de l’art performance

Comment avez-vous débuté votre carrière artistique ?

J’ai commencé mon parcours artistique par la photographie. Comme je pensais que ça ne suffirait pas, j’ai décidé de faire des études à l’Académie des Beaux-arts. Puis, j’ai étudié à Bratislava et à Prague dans une section spécialisée dans l’art architectural, c’est-à-dire toutes les techniques de l’art mural, des fresques, des mosaïques, le sgraffito et du travail avec le verre, le métal… Et j’ai donc travaillé dans l’architecture, pour la décoration des bâtiments culturels. J’ai trouvé dans cette atmosphère de larges champs pour me réaliser en tant qu’artiste, sans jamais abandonner la photographie.

Quels ont été les moments charnières de votre parcours ?

Il y a eu deux moments importants : un premier pendant mes études à Prague car j’étais plutôt emballé par le néo-surréalisme de Prague des années 60. Mais le moment clef se situe lorsque je suis venu à Paris pour la première fois en 1964, ici à la galerie Lara Vincy, où j’ai fait connaissance avec Pierre Restany, le fondateur du Nouveau Réalisme. Quand j’ai découvert ce mouvement, j’ai eu de nouvelles idées et un nouvel amour pour l’art.

Comment avez-vous trouvé votre place dans ce mouvement d’avant-garde ?

En 1964, le Nouveau Réalisme était déjà bien actif depuis quatre ans. Pierre Restany, Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle, Mimmo Rotella, François Dufrêne, etc, en sont les fondateurs dès 1960. Mais quand je suis venu quatre ans plus tard, ils étaient déjà à la « deuxième partie ». Et j’ai intégré ce groupe dans lequel étaient Jean Tinguely, Erik Deetman, Mark Brusse, etc.

Quelle est la difficulté lorsqu’on s’intègre dans un groupe comme celui-ci ?

Chacun de nous, qui a voulu être dans le cercle de Pierre Restany était absolument obligé de créer quelque chose de singulier, il ne s’agissait pas de copier les autres. Non, il fallait créer ! C’était un grand travail car vous étiez obligés d’étudier beaucoup de choses, de chercher le point vide, l’axe nouveau qui n’avait pas été pensé pour y entrer, ce n’était pas facile…

Quel a été l’apport de cette « seconde étape » du Nouveau Réalisme dont vous avez été acteur ?

Le Nouveau Réalisme a, dès le début, changé l’imagination mais il restait dans les galeries d’art. Dans ce second temps, lorsque je suis arrivé quatre ans après, nous avons cherché autre chose, en le prolongeant vers une liaison directe avec le public, et cela est très important… J’ai cherché toute ma vie une collaboration vivante avec le public, c’est-à-dire que je les invitais à devenir des co-artistes, des collaborateurs qui finissaient mes créations. Je leur laissais un espace pour que chacun puisse s’exprimer.

Cette exposition Tentation à la galerie Vincy est-elle un témoignage de cette démarche artistique entre vous et le public ?

Oui, cette exposition est le témoignage de cet échange entre moi et les visiteurs. Il faut préciser que cette exposition présente depuis 2017, a lieu 50 ans après ma première exposition à Paris en 1967. C’est une reprise après 50 ans, et vous pouvez voir que c’est la collaboration absolument vivante avec tous les visiteurs anonymes, chacun fait ce qu’il veut. Mais en tant qu’auteur, je dois leur donner la possibilité de participer. Je propose des mannequins vides et eux y ajoutent les graffitis, etc…

Selon vous, la participation du public est-il un aspect indispensable dans la création artistique ? Est-ce une façon de rendre l’art plus accessible en proposant au public de se l’accaparer ?

Oui, je le pense. J’ai fait des fêtes publiques où il y avait 300, 500, 1000 pinceaux et le public participait ! Je vais dire quelque chose de pas gentil… Je trouve qu’aujourd’hui, le problème de l’art, c’est que c’est de « l’art pour l’art ». Mais l’art ne doit pas être pour lui-même, l’art doit être une pièce de la vie ! Il faut que les gens aient accès à l’art et cultivent cela.

Dans ce processus où l’art est participatif, où se situe l’acte créatif dans le travail d’un artiste ?

Je pense que l’acte créatif se situe dans la conception d’une œuvre. Elle est importante et doit être précise, c’est ça l’idéologie de l’art. Qu’est-ce que je veux faire ? Qu’est ce que je veux dire ? Comment vais-je le faire ? Pour moi, la conception est un travail d’un an pour les grandes réalisations internationales, que j’ai fait avec Pierre Restany par exemple. Et la réalisation est est autre chose. Elle arrive dans un second temps et demande des financements.

Quel regard portez-vous sur l’art contemporain ?

L’art actuel, je trouve que c’est un grand problème… Je suis assez âgé et l’art de mon époque est passé. C’est un peu triste pour moi, pour nous les Nouveaux Réalistes qui avions les mêmes pensées et des valeurs.

L’art d’après est retourné vers l’abstraction, vers un art que personne ne comprend. Vous ne comprenez pas sa signification, vous ne savez rien en dehors de son titre qui ne vous donne pas plus d’indications, vous regardez les couleurs et partez. Dans ce contexte, il n’y a pas une participation artistique du public …

En tant qu’artiste, que souhaitez-vous apporter à notre société ?

En tant qu’artiste, je me suis donné le devoir de donner aux autres la possibilité de rêver. Il faut apporter à notre société un rêve, une imagination et l’art le permet. Vous connaissez le cinéma de Fellini par exemple ? C’est toujours l’art qui permet de faire rêver et de penser davantage. Par le bais de mes créations, je pense apporter cela. Je commence une chose, je donne une impulsion, puis je laisse le public la terminer, dans la pratique, la technique, mais aussi dans les pensées.

Quel est votre artiste favori ?

C’est une question un peu compliquée parce que j’aime tous les artistes qui partagent la même conception de l’art que moi, qui aiment l’art participatif. Naturellement, il y a Yves Klein mais je ne vise pas un homme en particulier mais un groupe ; c’est le groupe des Nouveaux Réalistes qui a commencé dans les années 1960 et de l’Art d’action qui a regroupé des artistes pour lesquels j’éprouve de la sympathie. De façon plus globale, j’aime tous les artistes qui cherchent une connexion avec les autres dans leur processus créatif.

Selon vous, pourquoi l’art est-il si important dans la vie ?

Je pense que l’art est comme un escalier ; vous montez dans les connaissances en étant absolument obligés de connaitre l’histoire de l’art, ses principaux courants depuis l’Antiquité, des artistes comme Ingres, Chagall, Picasso et bien d’autres… Vous montez cet escalier et vous rêvez d’aller toujours plus haut. C’est une école permanente qui vous oblige de connaitre ce qui vous a précédé pour ne pas penser que vous êtes en ce moment le plus grand artiste…

Dans la vie, il y a toujours deux pages : une, c’est le soleil, la vie quotidienne et l’autre la lune, la phase cachée. La deuxième page de votre vie, c’est l’art, le rêve, la pensée. Si vous vivez pleinement, vous touchez les deux pages. La culture est absolument nécessaire pour la civilisation. L’histoire du XXème siècle est compliquée ; beaucoup sont devenus des idiots avec le pouvoir comme Hitler, Staline, des têtes complètement vides. Mais de l’autre côté, regardez combien sont devenus des génies dans la société, comme les penseurs, les scientifiques, etc. Être intelligent signifie que vous êtes obligé d’utiliser les deux pages. Nous avons ce cadeau de Dieu, de savoir que l’art est une pièce de la vie. La vie sans art et culture, c’est une vie pour rien.

 » Alex Mlynarcik tient une place particulière dans l’histoire de ma galerie. Cette aventure a débuté un jour mémorable de 1964 où, par un de ces hasards qui semble programmé, il rencontre pour la première fois Pierre Restany, sur ces lieux même où tant d’évènements vont suivre : l’Inter • Etrennes en 1972 et le jeu, Argilia en 1977 et l’imaginaire et le rêve.

Alex, avec la générosité qui le caractérise, a lancé tant d’idées, tant de propositions qui ont toujours trouvé un écho enthousiaste aussi bien chez les artistes que chez les spectateurs. Il a ainsi créé, à travers les années, un vaste réseau de complicités, d’amitiés et d’échanges, qui trouvera un point culminant avec la grande exposition que nous préparons – Pierre, Alex et moi pour le mois de novembre : “Le temps de l’ailleurs”, une réflexion sur le temps et son sens.

C’est avec joie et émotion que j’apporte ce témoignage et redis mon admiration pour cette ouverture généreuse et idéaliste sur le monde que nous apporte Alex Mlynarcik, et à laquelle nous ne pouvons qu’adhérer…
 »

LILIANE VINCY, Paris, 1994,
Directrice de la galerie Lara Vincy

Laisser l'oeuvre inachevée, c'est un moment extrêmement important, à mon avis même crucial, qui stimule la communication entre l'artiste et son public, qui en est destinataire.

Alex Mlynárčik