

Au commencement la beauté
François Warin

Extrait
Au commencement la beauté De Chauvet à Lascaux de François Warin
Les mains d’or
Rares sont les philosophes qui se sont intéressés a ce que, depuis plus d’un siècle, on appelle la Préhistoire. La philosophie n’aurait-elle rien a dire sur ses découvertes, et notamment sur les stupéfiantes « inventions » des fresques animalières des grottes ornées du paléolithique qui bouleversent les assises de I’homme occidental et remettent en cause un évolutionnisme faisant souvent corps avec un humanisme qui a installé l’homme au centre du monde ?
Contre toute attente et au rebours de toute idéologie anthropocentrée, les premières mains du premier homme étaient déjà des mains d’or, et c’est la parade sauvage, la splendeur de l’animalité, qu’elles avaient choisi, exclusivement, de représenter. La figure humaine était exclue et l’homme présent par l’image métonymique de son propre corps faisait le « portrait de l’homme en main ».
Cette énigme est au coeur de ce livre, qui a choisi simplement de se laisser surprendre et d’examiner les réponses très « risquées » que, depuis ses débuts, la Préhistoire, en proie a une sorte de fièvre interprétative, a pu donner, quitte a faire oublier qu’on était la devant des « oeuvres d’art » dont le style demandait a être caractérisé.
C’est donc a travers l’épaisseur de notre culture et de l’histoire de la pensée que l’énigme est examinée, interrogée, mise en résonance et en perspective. Faire le choix de s’étonner, de vivre dans la profondeur de l’énigme, ne pas se soucier du fil d’ Ariane qui cherche une issue, mais habiter la caverne, haut lieu de notre imaginaire, pourrait bien être le propre de la philosophie.
Premières mains
« Premières mains » marque d’entrée de jeu un étonnement et fait éclater un paradoxe, pointe une formidable énigme : premier, adjectif numéral ordinal marque le rang, indique l’ordre. Or ce qui vient au commencement n’est pas ce qu’il y a de plus faible, de plus indéterminé, de plus pauvre comme le pensait Hegel, d’accord ici avec toute une tradition évolutionniste mais bien, selon Heidegger, ce qu’il y a « de plus violent et de plus inquiétant ». La première main n’est pas la main malhabile, tâtonnante ou enfantine mais la main de maitre. Au modèle scalaire, dans la chronologie, le terme premier ajoute ici l’idée d’excellence, de supériorité de rang, il opère un renversement de hiérarchie. « La peinture est en décadence depuis l’âge des cavernes », dira Miró.
Homo sapiens venait a peine d’arriver en Europe que déjà, à cette extrémité du temps, l’homme était la, tout entier présent. Évanouissement. annulation, court-circuit de la chronologie, voilà qu’il laisse son empreinte volontaire et irrécusable, son anonyme signature, et qu’il donne la preuve émouvante, sensible que nous avons là, tout proches, des semblables et des frères. L’occasion pour nous de tenter à nos risques et périls, quel que soit l’héritage d’un art qui a depuis longtemps commencé, de faire le récit d’une fondation, de nous rapporter à l’origine et au commencement, d’être du saut ou du bond et de dire une nouvelle fois : en archè, am Anfang, au commencement…
En nommant ainsi, non le début ou le point zéro privé de source mais l’origine qui efface ses traces et s’affirme ex nihilo, le moment frémissant de rupture où l’art atteint sa plénitude, le moment du surgissement et du règne, toujours en avance sur nous. « Maitresse, Divine, Ouverture sans mesure », écrivait Pindare.
Ce n’est rien moins que la tradition des Lumières, celle qui, son nom l’indique, nous aurait sortis des ténèbres, et a laquelle notre civilisation adhérait, qui a été retournée comme un gant et de façon définitive avec la découverte des grottes ornées. L’invention de la grotte Chauvet en particulier prononça l’arrêt de mort de la spéculation, provoqua l’effondrement des chronologies patiemment édifiées, déclencha l’interruption, la suspension, l’arrêt du sens et du mythe progressiste dont notre civilisation pouvait hier encore s’enorgueillir.
Docteur en philosophie, François Warin a enseigné au Brésil, en Afrique du Nord et Afrique subsaharienne. Il a publié de nombreux livres sur l’esthétique des arts premiers.
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Au commencement la beauté
De Chauvet à Lascaux
François Warin
Editions Arléa
Le beau qui ravit et ravage, ce qui se manifeste avec une force éclatante, était bien là dès le début, au commencement. Et c’est ce qui nous reste du commencement.
La découverte de l’art paléolithique, de Chauvet et de Lascaux, est un moment de rupture et de surgissement. L’idée de progrès dont notre civilisation pouvait s’enorgueillir a été retourné comme un gant, et les assises mêmes de l’homme occidental bouleversées.
La première manifestation, les premières mains du « premier homme », étaient déjà des « mains d’or », et c’est la splendeur de l’animalité qu’elles avaient choisie de représenter.
En regardant leurs mains étalées et offertes, qui ne montrent, ne prennent, ne saisissent rien et peut-être ne signifient rien, nous sommes devant la bouleversante énigme qui est au cœur du livre de François Warin.
Ce terme de premier, peuple premier, premier homme, art premier… n’a sans doute guère de sens et l’on sait qu’à Chauvet pas plus qu’à Lascaux l’art ne débute ni l’homme non plus.